Nous sommes, depuis une décennie, dans une nouvelle ère se caractérisant non seulement par une grande rapidité des communications, dans un contexte de mondialisation, mais aussi par un fort degré d’incertitude. Ce qui a engendré le développement d’un sentiment anxiogène et d’insécurité, rendant la prise de décision et les choix éclairés plus difficiles.
Toutefois, malgré ces incertitudes croissantes, la montée du populisme et le chant des sirènes du protectionnisme, il est une certitude: une économie de marché peut générer une croissance durable et une hausse générale du niveau de vie. Pour cela, il faut combattre «la mondialisation du mécontentement» et la «nourrir de préoccupations plus sociales».
L’année qui s’ouvre est celle de nombreux défis pour la Tunisie et nous serons amenés à effectuer un certain nombre de choix et d’arbitrages déterminants pour l’avenir de notre pays. Et la tâche est loin d’être aisée tant le contexte socio-économique semble morose.
En effet, pour l’économie tunisienne, l’année 2017 aura été l’année de la dévaluation du dinar, de l’inflation et de la dégringolade du pouvoir d’achat, entrainant un surcroît de pessimisme chez les ménages et les entrepreneurs, et laissant présager le pire pour 2018… Pourtant, la croissance de l’économie tunisienne devrait progresser modestement de 2,3% en 2017 grâce à l’agriculture, le phosphate, le tourisme et l’industrie manufacturière. Et, il y a de bonnes raisons de s’attendre à ce que cette reprise se poursuive, voire s’accélère en 2018 dans un contexte régional de redémarrage de la zone euro. Celle-ci continue, en effet, d’afficher une reprise économique étonnamment robuste en dépit du Brexit, de la crise catalane ou des incertitudes qu’ont fait peser ces derniers mois plusieurs élections nationales décisives. Récemment, le FMI a revu à la hausse ses perspectives pour la zone euro, misant sur une croissance de 2,1% en 2017 et de 1,9% en 2018.
Ce qui est de bon augure pour la Tunisie, car plus de croissance dans la zone euro, c’est plus de demande pour nos exportations, et par conséquence plus de création d’emplois.
Toutefois, pour profiter de cette aubaine, il faut impérativement débrider le dynamisme du secteur privé, et maximiser notre potentiel à l’export. Pour cela, le choix des stratégies et des réformes afférentes est essentiel pour stimuler la création d’emplois et l’esprit d’entreprise.
Le choix d’une intégration plus profonde de l’économie tunisienne dans l’espace économique européen. Le choix de compléter et d’approfondir la zone de libre échange pour les produits industriels qui a été mise en place en 1995 avec l’entrée en vigueur de l’Accord d’association. Le choix de se hisser aux normes et standards internationaux à travers l’harmonisation de notre système réglementaire vers l’acquis communautaire. Le choix de la modernité contre le statu quo. Ce choix peut nous aider à mieux positionner les produits tunisiens sur le marché européen, en particulier dans l’agriculture.
L’agriculture tunisienne recèle un fort potentiel inexploité. Les politiques actuelles préconisent la sécurité alimentaire et favorisent des produits pour lesquels la Tunisie n’a pas d’avantage comparatif et qui demandent beaucoup d’eau. Cette politique est assortie de subventions agricoles qui profitent avant tout aux grands agriculteurs des zones côtières. En se réorientant vers des cultures méditerranéennes, les produits biologiques et les produits du terroir, pour lesquels elle dispose d’un avantage comparatif important et d’un soutien en hausse, la Tunisie pourrait accroître son produit intérieur brut. Ce changement de braquet au profit des filières/régions et un retour vers les coopératives impacteraient une majorité de cultivateurs du pays, et notamment les plus petits, et serait une aubaine pour les régions intérieures plus défavorisées.
Ce choix peut nous permettre de sceller un véritable partenariat avec l’Union européenne au-delà des échanges commerciaux, en favorisant la mobilité professionnelle des jeunes entrepreneurs et autres fournisseurs de services, ainsi que l’accès aux différents programmes européens (technologie, H2020, Erasmus, mini-PAC inspiré de l’instrument agricole de pré-adhésion SAPARD/IPARD, pour l’agriculture et le développement rural…)
La Tunisie dispose d’un immense réservoir de talents. La régression du système éducatif conjugué aux mauvaises performances des marchés du travail au fil des ans ont fait naître un sentiment d’exclusion et d’inhibition chez les jeunes. Les femmes ne pouvant toujours pas rivaliser avec les hommes, car ce sont généralement ces derniers qui profitent des rares opportunités économiques existantes.
L’année de l’intégration et de l’inclusion
L’étude de la Banque Mondiale (Tunisie, Révolution inachevée) l’a bien illustré, les femmes des zones rurales et des régions les plus pauvres sont les plus touchées. «La plupart des femmes qui travaillent sur une exploitation agricole sont des travailleuses familiales non rémunérées. C’est le cas de plus des trois quarts des personnes qui déclarent que le travail familial non rémunéré constitue leur activité principale. Le travail rémunéré permanent dans l’agriculture est presque exclusivement réservé aux hommes.»
L’accès à la plateforme technologique européenne permettra de promouvoir l’initiative privée et inciter les jeunes à entreprendre, notamment dans les TIC et les startups, et plus important développer la recherche et l’innovation avec Horizon2020. La Tunisie a le potentiel pour devenir une référence numérique internationale et faire des TIC un levier important pour l’inclusion des jeunes, l’autonomisation des femmes et l’intégration régionale.
L’intégration régionale fait également partie des moyens identifiés pour promouvoir la croissance. Or, les obstacles pour l’intensification des échanges commerciaux entre la Tunisie/Maghreb et l’Afrique subsaharienne, deux des régions les moins intégrées du monde, sont immenses. Si le Maroc a mis en place une stratégie gagnante sur l’Afrique (principalement francophone) à travers le développement de transport maritime et aérien, services bancaires avec Attijari bank et BMCE, et autres services portuaires et logistiques, la Tunisie, ayant accumulé trop de retard, devra trouver sa propre niche africaine. Smart Tunisia pourrait permettre de jouer un rôle de premier plan en Afrique notamment dans l’éducation, les soins de santé, le gaming, la cyber-sécurité, l’agriculture (AgriTech), l’adaptation au changement climatique et le recyclage… La Tunisie pourrait jouer un rôle majeur au niveau continental à travers ce que nous avons appelé au MDI, l’axe nord sud, «construire un pont digital entre la Tunisie et l’Afrique du sud».
Nous demeurons optimistes quant à la réussite de notre transition économique et dans les succès de nos talents, mais que valent ces succès s’ils ne sont que ceux de quelques uns? Nous avons besoin de repenser un grand projet social pour notre pays basé sur l’inclusion. Sans cette exigence de justice sociale, notre pays ne réussira pas sa transformation économique et échouera par conséquence dans sa transition démocratique. La plupart des pays comme le Brésil, les Philippines ou le Chili qui ont progressé dans le renforcement de la protection sociale se sont dotés d’un registre social permettant d’appréhender les besoins de citoyens vulnérables.
In fine, quel que soit le choix, un effort de pédagogie et de communication sera nécessaire.