Quand sonne l’heure des bilans. Alors que l’action diplomatique tunisienne est scrutée à la loupe; alors qu’elle est sur toutes les lèvres du fait d’une actualité régionale et internationale de fin d’année fort houleuse; alors que les passions n’ont jamais été aussi folles, fruits d’un enchainement d’évènements riches en rebondissements, riches en vexations et riches en réactions; il est tout de même affligeant de constater qu’il y a aujourd’hui comme hier, dans les rangs du personnel diplomatique tunisien, de jeunes débutants qui trouvent toutes les peines du monde à se loger correctement et à subvenir à leurs besoins les plus élémentaires, alors qu’ils sont censés appartenir à un corps d’élite. Qui s’en soucie?
Ne cherchez pas trop la réponse, parce qu’elle se trouve dans ce salaire de la honte que perçoit tout diplomate qui entre en diplomatie comme on entre en religion. Et le problème ne date pas d’aujourd’hui. Accaparé comme il est par les contraintes d’une actualité diplomatique de plus en plus contraignante, Khémaies Jhinaoui, l’actuel ministre des affaires étrangères, donne l’impression d’avoir d’autres chats à fouetter. Je peux comprendre, mais jusqu’à un certain point. Pas plus d’ailleurs que tous ceux qui l’ont précédé.
Que le prestige de la profession parte en vrilles, cela a l’air de ne déranger personne. Cela participe un peu de ce peu de cas que l’on fait du prestige dans son acception globale. Tenez, qui pense encore sérieusement au prestige de l’Etat par exemple? Pourtant, tout le monde en parle! Aussi paradoxal et surprenant que cela puisse paraitre, c’est sous la Troïka et alors que Rafik Abdessalem présidait aux destinées du ministère, que les diplomates tunisiens en poste à l’étranger, ont vu leur salaire augmenter substantiellement, même s’ils restent loin des standards internationaux, pays arabes et africains compris.
Encore une fois, on n’est jamais mieux trahis que par les siens; on peut regretter que cet élan réparateur n’ait pas englobé les diplomates exerçant au sein de l’administration centrale à Tunis; c’est bien là où le bat blesse. Et cela perdure sans qu’aucun ne trouve à redire; on préfère élaguer et invoquer l’état désastreux des finances du pays pour ne pas bouger. Alors pour les premiers lancés dans le bain diplomatique, c’est la galère, faute de mieux; on jette son dévolu sur des garages de fortune transformés en studios par des propriétaires peu regardants et davantage soucieux d’arrondir leurs fins de mois, que de se préoccuper des états d’âme des uns et des autres.
Dans un contexte d’inflation infernale, on attend avec toute l’énergie du désespoir une affectation à l’étranger qui permettra de sauver la face. A un certain moment, sous l’ère Taieb Baccouche, il fut même question d’une indemnité spéciale qui serait à la hauteur des attentes et du prestige de la profession; en pure perte. Ne voyant pas plus loin que le bout de son nez, le ministère des finances a tout simplement dit non. Voilà comment on a évacué un problème de première importance. Et on vient ensuite demander des comptes.
Cinquante nouveaux diplomates viendront bientôt renforcer les rangs du ministère pour compenser un manque cruel en personnel. Ceux qui viennent de l’intérieur du pays, vont devoir se débrouiller, quitte à se mettre à deux voire à trois sous le même toit; une cohabitation forcée qui n’a pas que des avantages. Le mariage attendra. Les juges eux, ne se sont pas faits des états d’âme lorsque s’est posé le problème de faire honneur à la profession. Conduits par le premier d’entre-eux, le ministre de la justice Ghazi Jribi, ils sont allés à fond la caisse. Résultat des courses: des indemnités mensuelles qui oscillent entre cinq cents et six cents dinars nets. Joli coup en ces temps de vaches maigres. Et nos juges le valent bien.
Sinon que seraient ces choses appelées prestige, étiquette et autre impartialité? Tout cela vaut bien que l’on fasse quelques petits sacrifices. Mission accomplie donc. Que ne ferait-on pas au nom de la loi! Et justement, au nom du ministère régalien qu’il dirige, M. Jhinaoui a une occasion unique de faire d’une pierre deux coups: motiver ses troupes et marquer de son empreinte son passage aux affaires étrangères.
Un mieux être des diplomates en poste à Tunis ne sera pas de trop; en tout cas, c’est ce qu’on retiendra le plus. Et là, je pense qu’il serait bien inspiré de marcher sur les traces du ministre Jribi. Au même titre que ceux qui rendent justice voire plus, les diplomates tunisiens méritent eux aussi que justice leur soit rendue. Je dis cela, alors que M. Jhinaoui s’apprête (si ce n’est déjà fait), à remettre à la demande du chef du gouvernement, sa copie diplomatique de l’année. Ce qui ne m’empêche pas de m’interroger sur le rôle de certaines parties qui sont directement concernées, et ce, à l’instar de la structure syndicale créée dans le sillage de la révolution, ou encore l’association des anciens ambassadeurs et consuls généraux qui est beaucoup plus ancienne. Que fait tout ce beau monde? Je me rappelle à ce sujet cette boutade lancée un jour par un ami: « Vous autres diplomates tunisiens, vous n’avez plus qu’à aller vous approvisionner au souk de Sidi Boumendil. » Dans son esprit, il parlait bien évidemment de la dégradation du seul pouvoir d’achat. Tout est dit dans cette boutade. Mon ami avait bien résumé la situation. En conclusion, je dirais ceci: mahlek min barra… ou l’envers du décor; être diplomate, c’est certainement prestigieux; mais certainement pas rentable! Du moins dans nos contrées.