Encore une fois, nous allons évoquer la question des volumes de transactions à la Bourse de Tunis. Nous insistons toujours sur cet aspect, car il s’agit d’une condition indispensable pour le développement durable du marché actions.
Pour l’année 2017, le volume des transactions s’est établi à 2,243 milliards de dinars. Un chiffre honorable, mais il faut l’interpréter avec délicatesse. Lors de la dernière séance de l’année, une transaction de bloc de plus de 802 millions de dinars sur le titre Délice Holding a sauvé l’exercice. Hors activité sur le compartiment des blocs, le marché est clairement en manque de carburant : 971,606 millions de dinars d’échanges, soit 3,855 millions de dinars de volume moyen quotidien (un seul sens). Les transactions de bloc ont totalisé 1,271 millions de dinars, dépassant de loin le volume régulier.
Il est probable que ces montants semblent importants, mais en réalité, ils sont extrêmement faibles. Un petit exercice de calcul peut aider à comprendre cela. Si le taux moyen de courtage est de 3‰, et qu’il y a 23 intermédiaires en Bourse, le revenu quotidien moyen par broker serait à peine de l’ordre de 1 000 dinars! Comment veut-on alors développer ce secteur et le doter des meilleures compétences en matière de gestion et de conseil ?
Les deux bouts du spectre
Savez-vous, chers lecteurs, que cinq valeurs ont enregistré un volume d’échange inférieur à 100 000 dinars tout au long de l’exercice 2017? Il s’agit de Placements de Tunisie SICAF, ASTREE, STEQ, AeTech, MIP, et STIP. Si nous élevons la barre pour chercher les valeurs qui ne sont pas parvenues à enregistrer un volume moyen de 1 000 dinars par jour, nous allons ajouter trois autres sociétés à cette liste : SIPHAT, ALKIMIA et ELBENE. Ainsi, huit sociétés de la Cote sur un total de 81 ne sont qu’occasionnellement échangées par les opérateurs. Comment alors demander aux brokers de commercialiser la Place aux investisseurs étrangers avec de telles performances? Le principal critère de sélection pour les fonds étrangers est la liquidité. Autrement dit, s’il décide de vendre une grande quantité de titres, il ne doit pas rester à la merci du compartiment de blocs ou essuyer une perte pour pouvoir solder sa position. D’ailleurs, le taux de participation étrangère est passé de 24,45% fin 2016 (5,094 milliards de dinars) à 23,31% fin 2017 (4,719 milliards de dinars).
Pour des marchés comme ceux de la Tunisie, un titre qui s’échange en moyenne à moins de 100 000 dollars par jour ne peut pas être retenu dans la short-list de n’importe quel fonds d’investissement étranger. Avec la dégringolade du dinar, la mission est de plus en plus difficile. Autrement dit, cela exige un volume d’échange minimum de pas moins de 63 millions de dinars par an. Huit valeurs seulement ont dépassé ce seuil en 2017 : Carthage Cement, Euro-Cycles, SAH, Amen Bank, BIAT, PGH, Délice Holding et SFBT. Si le dinar se déprécie encore de 10% en 2018, la liste deviendrait plus courte.
Que des solutions douloureuses
Comment rendre notre marché actions attractif, aussi bien pour les investisseurs locaux qu’étrangers? Bien évidemment, la solution dépasse le seul cadre de la Bourse. Cela passe avant tout par l’amélioration des conditions économiques du pays. Mais il convient également de préparer le terrain pour dynamiser la Place. Il faut impérativement exiger un minimum de flottant pour toute société admise à la Cote. Actuellement, plusieurs d’entre elles ont un flottant plutôt théorique avec une majorité de titres détenus par des fonds d’investissement et de grands investisseurs individuels qui les rendent peu liquides. L’autre part de la solution est dans le camp des autorités monétaires. C’est vrai que la baisse continue du dinar a des conséquences lourdes sur tous les aspects de notre quotidien, mais économiquement parlant, l’absence d’un risque de change pourrait débloquer les flux d’investissements en devises.
La Bourse est un passage inéluctable pour réussir une telle transition, car l’investissement en titres de capital (et également de dette) est la voie la plus simple pour attirer les IDE.
C’est une solution qui fait très mal, mais nous devons aujourd’hui être conscients d’une réalité. Depuis la révolution, nous n’avons jamais cessé de reporter les réformes jusqu’à ce qu’elles soient devenues très coûteuses. Puisque nos responsables n’ont jamais osé changer, ils sont inconsciemment en train d’aggraver la situation. Le choix est clair: soit on reste en réanimation encore pour de longues années, soit on accepte de jouer le jeu en provoquant le choc et de le défier par le travail et la productivité. Il n’y a pas d’autre alternative et c’est à nous tous de choisir. Nous avons besoin de Chicago Boys tunisiens mais qui opèrent dans un cadre démocratique. C’est assez compliqué!