«En matière d’endettement, la Tunisie a atteint un niveau inacceptable au point que de parvenir à un accord avec les bailleurs de fonds internationaux est aujourd’hui devenu incertain», a annoncé, aujourd’hui, Mohamed Ridha Chalghoum, ministre des Finances, lors d’une rencontre-débat sur la loi de Finances 2018, organisée par l’Ordre des experts -comptables de Tunisie (OECT).
Ainsi, il a précisé: «Poursuivre le même rythme d’endettement pourrait aboutir à une situation où aucun bailleur de fonds n’accepterait d’endetter la Tunisie et aucun investisseur ne serait disposé à y investir», tout en qualifiant d’inquiétant le niveau atteint par tous les indicateurs des finances publiques.
A cet égard, M. Chalghoum a révélé la difficulté d’agir sur les dépenses de l’Etat dont une grande partie est réservée aux salaires. « En Tunisie, la masse salariale est élevée, mais le niveau des salaires du Tunisien reste faible. Cela est dû essentiellement au nombre des fonctionnaires qui est très élevé », souligne-t-il.
Selon ses dires, la masse salariale est une des causes ayant mené au dérapage des finances publiques en 2017, dont le déficit s’est élevé à 2,1 milliards de dinars dans le budget relatif à cette année.
Pour cette raison, le ministre a indiqué qu’une mesure a été prise en 2017 afin d’encourager le départ volontaire des fonctionnaires. Mais cette mesure n’a pas connu le succès attendu, vu qu’au total, seulement 7000 dossiers ont été déposés.
Il a, à ce titre, souligné qu’un projet de loi a été soumis à l’ARP pour encourager davantage les départs volontaires, des fonctionnaires en accordant une prime de 36 salaires pour chaque départ. «Nous espérons que cette loi, une fois adoptée, pourra débloquer la situation», affirme-t-il.
Autrement, il n’a pas écarté la possibilité de recourir au mécanisme de la retraite obligatoire dans la fonction publique. «Nous n’espérons pas passer à la retraite obligatoire puisqu’on est encore dans le choix de la retraite volontaire», a-t-il estimé.
Zoom sur les augmentations
Revenant sur l’augmentation de 1% du taux de la TVA, le ministre a annoncé que cette mesure vise essentiellement à limiter le recours à l’endettement et à préserver les équilibres financiers et n’aura pas un grand impact sur le pouvoir d’achat du citoyen tunisien.
Et de préciser que tous les produits agricoles ainsi que les produits subventionnés ne seront pas concernés par cette augmentation. Quant aux produits homologués, leur situation sera, selon ses propos, étudiée au cas par cas.
Dans le même contexte, il a expliqué que les augmentations qui ont eu lieu, aujourd’hui, n’ont touché qu’environ 8% des produits destinés au marché local et que cela a été fait dans le cadre de la révision des tarifs douaniers pour réduire les importations.
D’ailleurs, il a démenti toute augmentation des produits de base subventionnés par l’État. «Nous allons continuer à subventionner ces produits et rien ne va changer», a-t-il assuré.
Toutefois, le ministre a évoqué le dossier de la compensation, en rappelant que l’enveloppe consacrée à la subvention s’élève à 3520 millions de dinars en 2018, dont 1570 millions de dinars destinés à la compensation des produits essentiels. Il a, également, souligné la nécessité d’accélérer la réforme du système de compensation dans le but de l’orienter vers ceux qui en ont le plus besoin.
A ce titre, M. Chalghoum a déclaré que la mise en place d’une base de données qui devrait servir à mieux cibler les bénéficiaires de la subvention est en cours dans toutes les régions. «Nous espérons pouvoir finaliser cette base de données d’ici la fin du premier semestre de 2018 pour entamer la révision du système de compensation vers un meilleur ciblage des bénéficiaires. Cette mesure pourrait générer des économies qui s’élèvent à 330 millions de dinars sur l’enveloppe prévue pour la subvention des produits essentiels».
En ce qui concerne la subvention des hydrocarbures, dont le montant s’élève à 1500 millions de dinars en 2018, le responsable a indiqué que «si la loi de finances 2018 a été basée sur une hypothèse fixant le prix de baril à 54 dollars, alors que le cours actuel est aux alentours de 66 dollars, c’est parce que le consensus du marché international lors de la préparation de la loi de finances était de l’ordre de 54-55 dollars».
Et d’ajouter: «On ne pouvait pas changer les hypothèses lors de la négociation de la loi de finances. Et on ne pouvait pas augmenter l’enveloppe de la compensation des hydrocarbures au détriment des salaires, du budget consacré à l’investissement, des transferts sociaux, ou de la compensation des produits essentiels. Pour nous, le montant fixé pour la compensation des hydrocarbures est un plafond que nous ne pouvons pas dépasser et la seule option possible c’est de procéder à des ajustements en matière des prix, conformément à la décision gouvernementale prise en 2014, concernant le mécanisme d’ajustement des prix des hydrocarbures.»
Dans le même contexte, il n’a pas manqué de dire que «même les pays producteurs de pétrole ont procédé à des augmentations», estimant que le niveau des prix du pétrole en Tunisie reste inférieur à d’autres pays comme le Maroc.
Au volet des tarifs douaniers, M. Chalghoum a annoncé que «l’augmentation de ces tarifs, qui fait aujourd’hui une grande polémique, ne concerne ni les intrants de la production, ni les équipements, ni les produits essentiels destinés à la consommation.
L’augmentation s’applique, selon ses dires, à une partie des produits importés destinés à la consommation qui ont des équivalents tunisiens. «En tout, cette mesure concerne 8% des produits importés destinés à la consommation sur le marché local.»
Cette mesure vise, essentiellement, à atténuer les pressions sur la balance commerciale et à limiter le déficit courant qui devrait s’établir à plus de 9% pour toute l’année 2017.
Il a, de ce fait, mis en garde contre la hausse du déficit commercial qui a atteint, selon lui, 9%, et ce, suite à l’augmentation des importations (+19%), un déficit qui devrait être financé par l’endettement extérieur et le recours au marché international.
Cette mesure vise, également, à protéger l’économie tunisienne et le tissu industriel tunisien (électroménager, textile), tout en renforçant ses capacités de production.
Au final, Mohamed Ridha Chalghoum est revenu sur le niveau des réserves en devises qui risque, aujourd’hui, de passer en deçà des 90 jours d’importation. «Il faut bien agir pour sortir de cette situation. L’idéal serait de renforcer les exportations. Mais en attendant que l’approche adoptée dans ce sens donne ses fruits, il faut bien agir sur les mécanismes qui peuvent donner un effet immédiat dont les importations», conclut-il.