La Sieste du Corbeau, long métrage (88 minutes) de Moez Kamoun, produit par Sindbad Production, dont l’avant-première s’est tenue vendredi 5 janvier au Cinéma Le Colisée, à Tunis, en présence de toute l’équipe du film, est pareil à un cercle qui s’ouvre sur un échec et qui se referme sur un autre échec. C’est aussi un film traversé de bout en bout par les déboires d’un couple vivant dans la nouvelle Tunisie de l’après-14 janvier 2011.
Brahim (incarné par Abdelmonem Chouayet) accro aux jeux et à l’alcool, perd aux jeux, au profit de l’ex-amant de sa femme sans connaître son identité, le restaurant-bar qu’il gère avec sa femme Fatma (interprétée par Souhir Ben Amara). Avec un personnage difficile comme Brahim nous sommes d’emblée plongés dans une atmosphère glauque annonciatrice de crises à répétition.
La perte du restaurant-bar est l’élément déclencheur de toutes les péripéties et les rebondissements du film qui seront vécus par ce couple maudit qui est aussi un moyen pour soulever plusieurs problèmes sociaux et psychologiques.
Si le personnage de Brahim ne cesse de sombrer dans les échecs et l’alcoolisme, sa femme Fatma, quant à elle, se bat contre vents et marées pour lui éviter le pire. Deux personnages en perpétuel opposition: si Brahim a choisi le chemin de l’alcool, de la dilapidation de l’argent et de l’illusion, Fatma a choisi de sauver le couple du pire.
Les événements se succèdent, dans La Sieste du corbeau, à travers une succession de crises internes entre le couple et de crises externes provoquées par Brahim et son entourage (l’ex-amant de sa femme et l’évocation d’une période passée en prison).
Changement de décor: le couple se retrouve dans un autre contexte pour gérer un restaurant-bar dans le désert. L’idée semble surréaliste et présage d’un dénouement peu enchanteur du film. Après le cadre de la capitale, les personnages évoluent dans un désert où le silence épouse les sables. Si la capitale est un cadre qui rime avec vie «calme» avant la perte du restaurant et le déclenchement des problèmes, le désert est un espace qui s’ouvre sur l’infini, l’absolu et le silence.
La Sieste du corbeau : lutte artistique contre le charlatanisme
Dans cet espace propice aux légendes et mythes, Brahim fera la connaissance de Mokhtar (incarné par Foued Litaiem), un charlatan marchand d’illusions. A travers le personnage de Mokhtar, le réalisateur aborde le thème intimement lié à l’échec personnel, celui des pseudo-guérisseurs qui profitent du désarroi de certaines personnes crédules pour leur soutirer de l’argent.
En effet, par son « savoir-faire » Mokhtar soutire à Brahim des sommes importantes d’argent en lui faisant miroiter l’illusion qu’il va entrer en possession d’un trésor enfoui dans les sables du désert. Brahim, complètement subjugué, s’attache à Mokhtar qui devient pour lui son dernier refuge.
Ce comportement est représentatif de toutes les personnes sous la coupe de charlatans. L’attachement de Brahim au charlatan rappelle au spectateur que malgré les temps modernes, une certaine catégorie de personnes croient encore à leurs pouvoirs.
La relation entre les deux principaux personnages Brahim et Fatma évolue sur deux lignes parallèles, car si Brahim est dépendant de l’alcool et des jeux, Fatma est dépendante de sa passion pour lui. Elle incarne la femme voulant sauver son couple à tout prix, malgré les fautes commises par le partenaire. N’est-ce pas une forme de militantisme que celle de sauver son couple et l’extirper des illusions? La Sieste du corbeau n’est-il pas un cri de rage contre des pratiques que nous avons cru disparues depuis des décennies?