Les gouvernements qui ont été aux commandes du pays sont-ils responsables de la situation actuelle? Et si une partie du peuple y est pour quelque chose? Le FMI est-il la panacée? Que de questions qui peuvent s’imposer pour expliquer une révolution jugée «trahie»?
Une partie de la première semaine du mois de janvier 2018 a été consacrée à un débat, sans doute des plus tendus, sur la hausse des prix. Opinion publique et société civile d’un côté et pouvoirs publics de l’autre se sont largement affrontés sur les implications, notamment, d’une loi de finances dont il a été dit beaucoup de mal.
Une situation qui en dit long, selon certains évidemment, sur un climat de tension (un de nos confrères a parlé de «perspectives plutôt sombres») qui pourrait dégénérer. D’autant plus que le pays se prépare à «fêter» le septième anniversaire d’une révolution jugée «trahie».
L’occasion de raviver des passions et de faire des bilans. Il faut dire que la situation économique exprime bien un vécu qui n’a fait que se dégrader de par la faute, selon certains avis, des gouvernants qui se sont succédé depuis le 14 janvier 2011.
On a parlé d’amateurisme de certains responsables qui ne sont pas rompus à la gestion de la chose publique. Mais aussi de l’inexpérience de responsables qui ont cru qu’il était facile d’engager le pays sur les voies du progrès.
Changer les «us et coutumes» économiques
On a invoqué aussi la faute d’un peuple, ou du moins d’une partie du peuple, qui n’a pas su profiter de l’événement pour revoir et corriger ses choix économiques et sociétaux. Mais aussi ses «us et coutumes» économiques.
Un peuple qui n’a pas vu- et on ne le dira jamais assez- que c’est dans le travail que réside son seul salut. Un peuple- l’autocritique permet toujours d’avancer- qui s’est laissé aller quelquefois à la facilité et qui a, par moments, traîné une partie de son élite dans la boue.
Doit-on oublier, dans ce même ordre, les vagues de «dégagisme» qui ont gagné les rangs d’une frange de l’opinion? Des vagues qui n’ont pas toujours fait la différence entre le bon grain et l’ivraie. Après avoir été vilipendés, une partie des «dégagés» se retrouvent du reste aux commandes du pays.
D’autres ont pratiquement fui. On parle de quelque 4000 universitaires partis se ressourcer à l’étranger. Dans des universités des pays arabes, du Golfe notamment, ou encore en Asie, en Europe ou aux Amériques. Selon l’OCDE (Organisation de la Coopération et le Développement économique) 94 000 Tunisiens ont quitté le pays de 2011 à 2016 pour aller s’installer en Europe.
Tous ne l’ont pas fait, et pour les autres certainement pas que pour des motifs économiques. Mais aussi en raison d’une dégradation de leur quotidien dans un pays qui ne ressemble plus à ce qu’ils ont connu.
Et le pays est tombé dans l’escarcelle d’un FMI qui ne nous rappelle pas que de bons souvenirs. C’est lui qui serait derrière la décision qui a conduit aux émeutes du pain de l’hiver 1984 (voir Sophie Chautard, Les dictateurs du XXe siècle, éd. Studyrama, Levallois-Perret, 2006, p. 169) qui auraient fait, selon des sources, jusqu’à 143 morts.
«Il aggrave les problèmes des pays où il intervient»
La situation d’aujourd’hui est évidemment bien différente. Comme personne ne veut que la politique menée par le gouvernement pour sortir du marasme ne mène à pareille échéance.
Mais force est de constater que la loi de finances et sa batterie fiscale sont, du moins en partie, menées pour satisfaire un FMI dont un des responsables a qualifié la loi de finances d’ «ambitieuse».
On ne cessera de le dire, «c’est la Tunisie qui est allée au FMI et non le contraire». On ne cessera aussi de dire aussi que vu l’état de nos finances publiques, il n’y a pas meilleur recours.
Mais il faudra aussi dire que, et en prenant en compte le fait que la Tunisie ne dit pas que du bien de son modèle de développement, le FMI n’est peut-être pas quelque part la panacée.
N’oublions pas que des critiques des plus acerbes n’ont cessé de fuser de partout concernant une organisation internationale, née des accords de Bretton Woods, qui pratique une lecture par trop libérale de l’économie.
Voilà ce qu’écrit à son sujet le brillant professeur et économiste allemand Jörg Guido Hülsmann : «Loin de réaliser les buts qu’on lui a fixés, le FMI ne peut les atteindre du fait même de sa nature. Au contraire, il aggrave les problèmes des pays où il intervient» (voir «Pourquoi le FMI nuit-il aux africains?».