«C’est le métier de tous de parler de patience à tous ceux qui se tordent sous le poids de la souffrance» écrivait William Shakespeare dans «Beaucoup de bruit pour rien»; sauf qu’au vu de ce qui se passe en ce moment dans ce pays, ce n’est pas pour rien qu’on fait du bruit. «Ce qui détruit le monde, c’est l’indifférence», chantait Gilbert Bécaud, avec émotion.
Plus que toutes les lâchetés, plus que tous les mauvais coups. Normal que l’indifférence vous fasse descendre dans la rue pour vider tout votre saoul et crier tout votre désespoir. Normal que vous disiez basta, il faut arrêter les frais maintenant et tout de suite. En fait, les politiciens de ce pays n’ont rien compris, à part obéir à leur ego démesuré. Au diable la vérité, se sont-ils dits, dans un dilettantisme à vous faire enrager. Autant taper sur l’autre, vite et très fort, quand ce ne sont pas les petits meurtres en famille qui tiennent lieu de mode opératoire.
Au diable la morale quand elle vous empêche d’assouvir votre soif inextinguible de pouvoir. Au diable les états d’âme; on ne va tout de même pas se gêner pour semer le trouble et favoriser toutes les inquiétudes et toutes les suspicions! «Et maintenant, on va où?» s’est interrogée la cinéaste libanaise Nadine Labaki dans son film éponyme; en proie à toutes les turpitudes existentielles, les Libanais valaient bien un tel examen de conscience.
Et maintenant, vous faites quoi et où allez-vous nous emmener, suis-je tenté de dire à tous ceux que la révolution a apporté malencontreusement dans ses bagages, et qui, au lieu de faire de la politique autrement, se sont enfoncés la tête dans le sable pour ne pas voir. «Et maintenant, qu’attendez-vous?», a-t-on entendu; c’est pain bénit pour tous les pyromanes patentés, même si on s’y attendait un peu, avec tous ces prix qui ont fait exploser tous les compteurs.
Non à Nidaa, non à Ennahdha, a-t-on également entendu; comme si, on n’avait pas retenu la leçon d’un certain « du pain et de l’eau plutôt que Ben Ali »; le bon peuple, lui, avec un Ben Ali en moins, n’a finalement eu ni pain, ni eau. Et puis, c’est quoi l’alternative? Tous ces partis à l’insoutenable légèreté et à la faillite consommée ? C’est quoi l’alternative? Tous ces apprentis-politiciens qui nous pompent l’air et qui nous empêchent de respirer? C’est quoi le but? Faire tomber un gouvernement qui n’arrête pas de tomber? Pour faire quoi? Prendre les mêmes recettes et recommencer?
A moins de jeter comme on dit à la mer tous ces incapables de politiciens et de les remplacer par une autre espèce venue d’ailleurs. Je ne sais pas quand, nos politiciens à la petite semaine, vont-ils arrêter de prendre les honnêtes gens pour ce qu’ils ne sont pas. Ceci étant, je ne suis pas sûr qu’entre Nidaa Tounes et Ennahdha ce soit définitivement fini.
Vous y croyez vous? Comment croire un parti qui a trahi la confiance de ses électeurs? Comment faire confiance à des responsables politiques qui ont plus d’une fois démontré leur art consommé du retournement de veste? Bye bye le consensus et bienvenu au chacun pour soi et Dieu pour tous? Après la rencontre de Paris, le paysage politique s’apprête-t-il à entrer dans une phase d’après-pacte?
Aux Berges du Lac, on veut changer le fusil d’épaule sans trop convaincre. A Montplaisir, on donne l’impression de prendre acte; les municipales qui frappent déjà à la porte, valent bien une traversée en solitaire en attendant de prendre le large en 2019; qui sait. Un pacte d’agression maîtrisée, parait-il.
En attendant, la guerre des prix, elle, a déjà commencé, avec peut-être une deuxième révolution à la clef. Et attention aux sous-estimations. Rappelez-vous, Ben Ali pensait au plus fort des émeutes de fin décembre 2010 et de début janvier 2011 qu’il s’agissait d’agitations qui allaient passer. Il n’a pas vu la révolution arrivée, tout comme le roi de France Louis XVI qui, alors que les pauvres et tous les gueux de Paris battaient le pavé et se dirigeaient dare-dare vers la Bastille, demandait à son chambellan : « C’est une révolte? Non, Sire, c’est une révolution. » Une seconde révolution est-elle devenue à ce point indispensable pour que le pays puisse enfin sortir la tête de l’eau?