Un drapeau noir à la main exhibé dans le périmètre de la mosquée de Paris par le futur élu, voilà la première image dévastatrice de celui qui représentera les Tunisiens vivants en Allemagne.
On pourra gloser jusqu’à l’infini sur le séisme, la claque, la déconvenue, la déconfiture d’un système partisan qui s’est mué en un directoire bipartisan de facto. L’élection de Yassine Ayari est le symptôme d’une crise de transition, mais bien plus que cela, cette élection interroge la vie politique du pays et son organisation dans son ensemble. Sans la cogestion Ennahdha-Nidaa, cette élection n’aurait jamais eu lieu. Pire encore, c’est le manque d’intérêt pour les Tunisiens de l’étranger qui explique une telle catastrophe. Voilà de quoi cette élection est le symptôme.
Un autre point ne semble pas avoir les faveurs des analystes depuis janvier 2011, que met à nu cette élection partielle: c’est celui de la relation de la Tunisie avec ses citoyens de l’étranger. L’arrivée de ce trublion, immature et instable au Palais du Bardo pour représenter les Tunisiens d’Allemagne est l’illustration de cet échec.
Une élection qui souligne l’échec du «directoire des deux partis»
Depuis 2014, c’est un directoire de deux partis et de deux hommes qui régente le pouvoir en Tunisie. On peut même oser dire à son endroit qu’il s’agit d’un directoire de deux gérontes. Sept ans après la fin de la 1ère République tunisienne, nous revoilà au même point de départ, les anciennes habitudes ont pris le pas sur le premier élan et la rénovation des mœurs politiques n’a duré qu’un très bref instant. Jouir des fruits du pouvoir constitue le seul paramètre de l’équation d’un pouvoir en codirection entre Carthage et Monplaisir. Un jeu de partage des prébendes, une course vers les centres du pouvoir et vers les fruits qu’ils autorisent. Un ruissellement d’influences, de petits postes et de petites combinazione associe la pléthore des partis (210 nous dit-on) au partage des miettes.
Un théâtre de paradoxes où le parti arrivé deuxième, sur une ligne opposé au premier est associé au pouvoir, sans contrat de gouvernement préalable, un théâtre où le nomadisme partisan, les scissions, les schismes, les dissidences et autres trahisons meublent le quotidien d’une vie politique totalement déconnectée de la vie réelle du pays. Un feuilleton rance et sans saveur déconnecté de la vie réelle des populations de plus en plus fragilisées, de plus en plus frappées par une insécurité du quotidien.
Qu’attendre dans ces conditions du citoyens-électeur? Qu’il acquiesce à la scène finale du vaudeville où le président élu rejoue à l’infini la combinazione avec le second membre du directoire? Qui peut croire dans ces conditions à une lutte contre la corruption enlisée autour d’un homme bombardé comploteur contre l’Etat? Une Mata Hari sortie du commerce de la banane et affabulée d’un costume trop grand pour elle, jouant une pièce où se croisent homme d’affaires louches, barbouzards défroqués et terroristes libyens. Depuis juin, on attend l’épilogue d’un mauvais épisode, qui tarde trop. Un épisode qui est convoqué comme seule cause et comme seule source aux malheurs d’un pays.
Qui peut encore croire en la politique, quand l’essentiel est sacrifié au bénéfice de l’accessoire?
Des questions centrales resteront certainement sans réponse pour un gouvernement à court d’idées, construit autour de la prébende partisane.
Quel chemin vers une vraie politique qui rompt avec le passé? Quel avenir pour la jeune génération? Quelle sécurité pour un pays qui a laissé partir des terroristes vers la Syrie et ses cerveaux vers des terres plus prometteuses? Quel avenir pour un pays qui perdra 30% de ses terres agricoles en moins d’une génération? Quel tourisme dans un pays où le littoral est menacé? Quelle université, école doit-on construire? Qui a tué Belaid et Brahmi? Des questions qui manifestement, n’ont pas la faveur du directoire des deux gérontes.
L’absence de réponses à ces questions plongera l’électeur dans l’abstention et le pays dans le pire cauchemar. Pourront alors se croiser une trajectoire de l’obsolescence économique irréversible, un Etat évanescent et celle des petits entrepreneurs politiques, de ceux qui ont failli durant les années de la première Troïka.
Voilà de quoi cette élection est le révélateur. Mais bien plus que cela. Si nous avons dépensé 500 000 dinars pour 1400 électeurs déplacés, pour élire un trublion à 260 voix, c’est que le mal est plus profond.
Comment la Tunisie a raté son rendez-vous avec sa diaspora?
En trente-cinq ans de présence à l’étranger, je n’ai jamais croisé un député tunisien, aucune trace de cette espèce rare depuis 2011. Pourtant de par mon métier et mon domaine de spécialité, j’ai eu la chance de rencontrer des députés du monde entier (américains, italiens, anglais, portugais, italiens, maliens et français bien sûr), sauf bien sur ceux de ma circonscription, France Sud. J’ai voté en 2011 et en 2014. A aucun moment ces représentants de la diaspora ne sont venus rendre compte de leur action. Aucun n’a labouré sa circonscription, aucun n’a tenu la moindre conférence de presse, jamais aucun n’a rendu compte de son travail. Pourtant, les Tunisiens, les simples citoyens de l’étranger sont actifs, il en est de même pour les représentants de l’Etat (Consuls) dont le dynamisme force le respect. Les représentants du peuple jouent l’arlésienne. Ayari, ne dérogera pas à la règle. Faut-il l’en blâmer quand il s’agit d’une pratique commune. Certains sont absents à l’ARP et absents en circonscription. Rien d’étonnant quand on connait l’attachement de certains à la défense de la cause des Tunisiens à l’étranger. Est-il nécessaire de rappeler à la représentation nationale le drame des clandestins tunisiens échoués en France, dont certains flirtent avec la petite délinquance, quand ce n’est pas une autre tentation plus grave. Aucune étude, aucun rapport, aucune évaluation de la part de ces députés tous partis politiques confondus. L’ARP elle-même, le ministre de tutelle, le ministère des affaires étrangères, l’inénarrable ITES qui nous a pondu le rapport sur l’Etat résilient (SIC) n’ont jugé intéressant de se pencher la situation de quelque 50 à 60 000 Tunisiens clandestins ici, en France, et certainement autant ailleurs. On n’évoquera même pas les autres, les 10% de la population désormais expatriée. Passé le moment de l’euphorie d’un changement qui faisait notre fierté, l’optimisme est retombé, le retour des vieilles habitudes, l’image désastreuse du terrorisme tunisien à travers l’Europe achève le reste. La Tunisie est en train de perdre sa relation avec sa diaspora.
Tout rebute. J’en ai fait l’expérience et à maintes reprises. Est-il nécessaire d’énumérer les projets et les financements que j’ai proposés à des responsables au plus haut niveau de l’Etat et qui seront repoussés car il s’agissait à chaque fois de projets à long terme et qui ne pouvaient avoir aucune incidence sur la carrière immédiate de l’acteur public en question?
Dans ces conditions l’élection de Y. Ayari n’est qu’un coup de semonce et un avertissement sans frais, il siègera deux ans au mieux, fera le pitre, mais ne pourra rien de plus. Bien plus grave est l’abstention qui vient, celle de 2019, c’est-à-dire demain. Les élections auront lieu dans un contexte de crises économique, sociale et politique. Elles seront l’occasion de la revanche de ceux qui ont été battus en 2014 et ne permettront aucun rachat pour le parti présidentiel démonétisé, totalement désorganisé, sans carte ni boussole. Ennahdha pourra compter sur les mosquées et les salles de prières en Tunisie, comme dans toutes les circonscriptions de l’Europe. En face, aucun autre parti, ni coalition ne sera en mesure d’attirer l’électeur tunisien qu’il soit en Tunisie ou à l’étranger. La diaspora tunisienne est dans l’expectative, tétanisée par la situation du pays, exclue de facto du jeu politique du pays, quand ceux qui la représentent sont du moins absents ou au pire non issus de ses rangs, et qu’ils n’ont aucune connaissance de ses conditions de vie dans les pays d’accueil.
Reste la sempiternelle chanson de la participation du Tunisien de l’étranger au développement du pays. Tout le monde s’y met, Madame Bouchamaoui y est allée de sa recommandation récemment. Tant que le lien familial persistera, les Tunisiens de l’étranger seront une aide pour leur familles, on peut douter pour l’avenir, la 3e et la 4e générations sont de moins en moins présentes et ce ne sont pas quelques députés, de surcroit absents et totalement éloignés des préoccupations des Tunisiens de l’étranger qui vont inverser une courbe qui s’avère inexorable. 2011 et 2014 apparaissent dès lors comme des occasions perdues, ratées.
Des députés enracinés, un conseil des Tunisiens de l’étranger, élu et représentatif, des élites tunisiennes expatriées pleinement associées, des partis politiques plus matures, mieux structurés, c’était l’espoir de toute une génération, il a été dilapidé. L’élection de Y. Ayari apparait alors comme une suite logique d’une transition en perdition.
je pense qu’il est moins pire que HCE