Le palmarès 2017 ne déroge pas à la règle. Il livre, comme à chaque édition, sa moisson d’enseignements sur la physionomie et surtout sur les indicateurs de performance de nos entreprises. Où l’on découvre un énorme décalage entre l’atonie de la croissance et sa relative stagnation face au dynamisme et aux mouvements de fond qui façonnent et structurent notre système productif.
Le cru 2017 confirme ce que l’on pressentait. L’inflexion est réelle. On voit une nette tendance qui confirme la montée en puissance du secteur privé dans ce qu’il a de plus performant. La géographie de la production nationale n’est plus ce qu’elle était, quand les entreprises publiques étaient les principaux artisans de la croissance. On n’en est plus là. Hier locomotives, aujourd’hui, elles constituent pour la plupart un véritable boulet. Les sept dernières années leur furent difficiles, pénibles, désastreuses même. Elles ne semblent plus, au vu de leurs difficultés, avoir leur destin en main. On en a fait les auxiliaires de service de l’Etat, obligées qu’elles étaient d’éponger le trop-plein des sans-emplois. Les critères d’efficacité sont jetés aux oubliettes. La productivité est en chute libre et les déficits s’installent et s’accumulent.
Rares sont les entreprises publiques qui s’en sortent, sans être lourdement impactées par les grèves, les sit-in, les revendications salariales et des recrutements forcés, dont elles ne savent quoi faire.
Pour autant, l’économie nationale n’a pas sombré, même si elle sort à peine la tête de l’eau : 1,2% de croissance en 2016 et 2,2% en 2017. La croissance ne décolle pas, malgré un faible rebond. Une première explication serait d’associer cette croissance aux effets des augmentations de salaires, notamment dans la Fonction publique. En fait, il y a plus et mieux. Il n’en reste pas moins qu’au regard du recul du secteur public qui contribue pour près de 45% de la Formation brute de capital fixe (FBCF) et autant de la valeur ajoutée, les deux points de croissance du millésime 2017 cachent un véritable exploit du secteur privé, qui parvient à compenser à plus de deux chiffres le recul et au-delà des entreprises publiques.
On le vérifie d’ailleurs à la physionomie et à la performance des groupes privés. Ils ont le vent en poupe, à la différence d’une bonne partie des PME/PMI qui tiennent mal sur leur socle – pas toutes heureusement – sans doute à cause du recul des commandes de l’Etat, qui n’a plus les mêmes capacités d’investissement.
Certaines entreprises publiques qui, il n’y a pas si longtemps, caracolaient en tête du classement – à l’exception de certaines d’entre elles en situation de monopole (Steg, Stir,…) – ont perdu de leur efficacité et n’ont plus le même rang. Elles sont désormais distancées par des groupes privés dans l’industrie, la finance, l’agroalimentaire, l’équipement, la distribution,… Ces groupes sont, en dépit du marasme ambiant, en croissance rapide et se développent même sur l’international. Ils se sont illustrés par leur aptitude à gérer le changement. On leur doit la capacité de résilience de l’économie nationale.
On s’étonnera que de grands noms de la distribution, de l’industrie, du tourisme ainsi que d’impressionnants conglomérats qui embrassent un très large spectre d’activités, allant de la banque jusqu’à l’agro-business en passant par l’hôtellerie n’y figurent pas. Nos tentatives répétées n’ont pas eu raison de leur souci de discrétion.Rien n’y fit. Ils veulent se mettre à l’abri des regards. Allez chercher pourquoi ?
Ce constat en appelle un autre. On peut, à bon droit, imaginer l’importance des gisements de productivité et de croissance qu’on pourra récupérer, si on venait à privatiser les entreprises publiques qui plombent aujourd’hui l’économie. Le désengagement de l’Etat nous fera gagner trois à quatre points de croissance par an. Le pays en a tant besoin pour faire reculer le chômage et donner plus de chair et d’âme à notre cohésion nationale, aujourd’hui mise à mal.
On n’arrête pas le cours de l’histoire. Le tableau 2017 révèle d’autres signes très prometteurs. On voit émerger du lot, des entreprises à fort contenu technologique et à forte valeur ajoutée, dans l’industrie pharmaceutique, dans les nouvelles technologies, l’économie numérique et dans certaines activités de services liées à l’industrie. Preuve que l’appareil productif tunisien est en train de changer de physionomie. Il amorce une montée en gamme et se positionne sur de nouveaux relais à fort potentiel de croissance.
Ce n’est pas le moindre des enseignements du palmarès 2017, qui renvoie une image fort contrastée d’une Tunisie à deux visages, celui des groupes privés, qui entreprennent, osent et gagnent et celui des entreprises publiques, menacées de déclin, privées qu’elles sont des moyens de leur propre survie. Puisse cette image disparaître à jamais !