En marge de la troisième Matinale, organisée aujourd’hui, par ALUMNI IHEC Carthage sur les tensions inflationnistes en Tunisie, Ezzedine Saidane, expert en économie a dressé ses principales causes et conséquences, ainsi que les moyens de les surmonter.
De prime abord, il a rappelé que la norme internationale situe le plafond d’une inflation positive de 3%, et que si on dépasse ce plafond, c’est qu’il y a un problème sérieux.
Pour la Tunisie, le taux d’inflation a atteint 6,4% à fin 2017, selon l’INS. Mais en réalité, M. Saidane a affirmé que le taux d’inflation est de l’ordre de 9 à 10%. « Ce taux créé d’énormes distorsions au niveau de l’économie nationale, dont la baisse du pouvoir d’achat du citoyen tunisien« , précise-t-il.
Et d’ajouter que selon une étude réalisée récemment, la baisse effective et réelle du pouvoir d’achat a été estimée à 25% durant les sept dernières années. « C’est un taux intenable mettant en panne l’un des moteurs importants de la croissance économique: la consommation ». De plus, alors que le taux d’épargne national était de 22% du PIB en 2010, il est de 11% à fin 2017, constituant une des causes essentielles de l’endettement extérieur excessif de la Tunisie.
Causes et conséquences de l’inflation élevée
Ezzedine Saidane a indiqué que parmi les causes principales figure le comportement de l’Etat en matière de dépenses. Ces dernières ont augmenté, depuis 2011, à un rythme moyen de 10%, pour atteindre 17,7% en 2017, générant une croissance économique extrêmement faible.
De ce fait, « l’Etat s’endette de plus en plus à l’extérieur, mais également à l’intérieur via des BTA au niveau des banques. Ces banques qui sont re-financées par la BCT, et ce, par la planche à billets. On parle, donc, de la création monétaire sans contre partie », explique-t-il.
Et de préciser que le déséquilibre entre la masse monétaire et l’économie réelle est en train de s’aggraver. D’ailleurs, le refinancement de la BCT a atteint aujourd’hui 11,2 milliards de dinars contre un excédent de liquidité en 2010 de l’ordre de un milliard de dinars. Ce gap énorme résulte de l’inflation.
Ainsi, la masse des billets et de monnaie en circulation dans le pays est aujourd’hui à 11,7 milliards de dinars, dont six milliards de dinars hors circuit régulier, alors qu’elle était à 5,5 milliards en 2010. Cette hausse prouve, selon ses dires, que l’économie parallèle est en train de tuer l’économie formelle.
L’expert en économie a dévoilé que la deuxième cause de l’inflation consiste dans les augmentations salariales sans contrepartie au niveau de la production et de la productivité. « Augmenter les salaires de 6% par an, sans croissance économique, entraine mécaniquement de l’inflation », dit-il.
Depuis 2011, il y a en Tunisie une redistribution de la richesse et des revenus au dépend des classes moyennes et pauvres. Et par conséquent, l’inégalité sociale est en train d’augmenter constituant un frein sérieux à la croissance économique. Il n’a pas manqué d’estimer, dans ce sens, que l’UGTT se trompe gravement parce qu’elle n’est pas en train de défendre les salariés, mais de leur faire mal, en continuant à revendiquer les augmentations salariales sans croissance économique en face.
La troisième cause d’inflation est le déficit commercial qui a atteint son niveau record à 15,6 milliards de dinars à fin 2017. « Il y a une grande demande sur les devises étrangères et une offre énorme en dinars, ce qui conduit à la baisse mécanique du dinar. Et ceux qui pensent qu’ils peuvent stabiliser le dinar sans résoudre les causes de sa dévaluation, se trompent« , souligne-t-il, révélant que « si la situation du dinar reste telle qu’elle est aujourd’hui, on pourrait s’attendre à une chute plus aiguë qui pourrait atteindre 3,3 DT pour un euro, d’ici le printemps prochain. »
Quelles solutions?
Ezzedine Saidane a déclaré qu’il faut, tout d’abord, commencer par réparer l’économie tunisienne pour créer de la croissance, de l’emploi et de la richesse supplémentaire, permettant de faire face à la dette extérieure.
Pour ce faire, il faut aller droit dans le bon sens et lancer un débat économique et financier pour en finir avec un consensus sur le diagnostic réel signé par les signataires de l’Accord de Carthage.
«Nous allons pouvoir, par conséquent, mettre en place un plan d’ajustement structurel permettant d’arrêter l’hémorragie de l’économie tunisienne, se lancer par la suite dans les réformes approfondies qui toucheront beaucoup de domaines et avoir, au bout de cinq ans au plus tard, une économie sécurisée de plus de 7% de croissance, en plus de 100 mille emplois décents et d’un niveau de dette soutenable. C’est possible. Nous pouvons le faire en ayant la volonté« , conclut-il.