La maîtrise de l’inflation et de la balance des paiements, telles sont les priorités du nouveau gouverneur de la Banque centrale Marouane El-Abassi. Lors de son adresse aux députés à l’ARP, hier, 15 février, dans le cadre d’une plénière pour le vote de confiance, Marouane El-Abassi a annoncé ses priorités et ce qu’il pense de la situation économique.
Marouane El-Abassi a affirmé que la Tunisie va sortir de la crise suite à son inscription sur la blacklist des pays tiers susceptibles d’être fortement exposés au blanchiment de capitaux et au financement du terrorisme. A cet égard, le candidat a rappelé que la Tunisie en a connu d’autres et que cette crise sera dépassée.
Citant Chedly Ayari, l’actuel gouverneur de la BCT a rappelé qu’il était le doyen de la Faculté de droit et d’économie de Tunis et alors que la tradition voulait que les plus brillants de nos économistes reçoivent une formation en France, l’ancien gouverneur avait opté pour les Etats-Unis. Il ajoute : « Prendre la relève de Chedly Ayari ne sera pas facile, vu sa notoriété à l’échelle mondiale, et ce, depuis 35 ans. Le fait qu’il discute en tête à tête avec Christine Lagarde en dit long sur la confiance que lui manifestent les bailleurs de fonds internationaux ».
Pour Marouane El-Abassi, la mission sera difficile pour plusieurs raisons : « Ma situation est confortable car je travaille à la Banque mondiale et je suis payé en dollars. Pourquoi avoir accepté un poste aussi sensible et surtout dans la situation présente ? Par le passé, j’avais déjà décliné des postes ministériels que l’on m’avait proposés non pas pour une question matérielle, mais parce que les conditions – et les outils adéquats – n’étaient réunis pour me permettre d’accomplir ma mission comme je l’entendais », lance-t-il.
Revenant sur l’inflation, Marouane El-Abassi a prévenu que si l’Etat n’intervient pas, le taux d’inflation, qui est actuellement de 7%, risque de passer à 9%. Il précise : « C’est très dangereux. Tous les indicateurs économiques sont au rouge, dit-il, avant de revenir sur deux éléments qu’il considère très inquiétants, à savoir le déficit commercial et le déficit de balance des paiements ».
Il poursuit : « Quand j’étais expert auprès du ministère des Finances, le déficit courant atteignait 2% mais dès qu’il atteint le seuil de 2,5%, les experts se mobilisent pour le faire baisser. J’étais au ministère du Commerce et je sais de quoi je parle. Dans ce genre de situation, on met en place une cellule de crise pour un suivi rigoureux de la situation. Aujourd’hui le déficit commercial atteint 10% aggravé par un déficit budgétaire et celui de la balance des paiements. Dans ces conditions, la relance économique n’est pas facile », confie-t-il.
Il déclare en étayant ses propos : » Comparée à la Libye où le déficit et l’inflation ont atteint un taux de 50%, la situation de la Tunisie ne paraît pas alarmante mais contrairement à la Libye, notre pays ne dispose pas de la manne pétrolière de notre voisin. C’est pourquoi, nous devons travailler, créer de la richesse et nous devons améliorer la productivité de notre économie et c’est la seule solution pour faire baisser les prix et remettre de l’ordre dans la balance commerciale et celle des paiements», recommande-t-il.
Concernant les rapports de la Tunisie avec la Banque mondiale, l’intervenant a déclaré que la Tunisie s’était adressée à la Banque mondiale – bien que le taux d’intérêt appliqué soit plus cher que celui des marchés internationaux – pour pouvoir réaliser les réformes qui s’imposaient de la Douane. Suite à l’application des réformes, le délai de séjour des marchandises au port de Radès est passé d’une moyenne entre 22 et 25 jours à 3 jours en 2010.
Quant à la chute du dinar, il l’impute à l’absence de réformes, de productivité, d’investissements donc de croissance, et ce, depuis des années. Pour résoudre les problèmes économiques du pays, il faudrait une croissance entre 4 ou 5%, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.
Se référant au modèle de développement, il a indiqué que tout le monde affirme qu’il faut le changer mais « ce n’est pas dans trois mois qu’on va le changer, il faut s’y préparer. Il n’est pas possible de le changer avec la politique de change actuelle, quand des entreprises capables d’exporter peinent à cause de cette loi ».
Loi sur les changes, économie informelle et inflation dans le collimateur de Marouane El-Abassi
Tout en affirmant que la loi sur les changes n’est pas une question taboue et qu’il faut la traiter, il a souligné l’importance de la traiter tout en prenant soin de l’économie du pays et des réserves en devises. Cette économie ne s’améliorera que lorsque les exportations dépasseront de loin les importations, fait-il remarquer. « Aucun investisseur étranger n’envisagera l’investissement en Tunisie quand il constate la dégradation du dinar tunisien », assène-t-il.
« Le taux de change est un sujet très important sur lequel la Banque centrale doit travailler en coordination avec d’autres intervenants », annonce-t-il. La Banque centrale est par contre responsable de la limitation de l’économie parallèle. À cet égard, il a affirmé que 11 milliards de dinars circulent en dehors du circuit bancaire. Cette liquidité doit intégrer le circuit bancaire pour pallier le manque de liquidité des banques. Cela ne pourra se faire qu’à travers la mise en place d’un nouveau système d’après lui.
Le nouveau gouverneur de la Banque centrale a indiqué qu’un pays comme le nôtre est capable de travailler mieux surtout avec les compétences dont il dispose. Mais il faudrait offrir de bonnes motivations à ces compétences pour qu’elles ne quittent pas le pays, surtout avec les chasseurs de tête qui sont prêts à tout pour débaucher nos ingénieurs et nos informaticiens.
En conclusion, il a affirmé que le pays vit une conjoncture exceptionnelle qui nécessite des meures exceptionnelles. « Toutes les institutions ont subi un choc en 2011 mais il est n’est plus permis de continuer à travailler avec la gouvernance d’avant-2011 », tance-t-il.
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