Revenant sur les conséquences de la décision prise, le 05 mars 2018, par la BCT d’augmenter le taux directeur de 75 points de base, pour le porter de 5 à 5,75%, et ce, en raison de l’accélération de l’inflation survenue au début de cette année, soit 7,1% en février 2018, contre 4,6% en février 2017, leconomistemaghrebin.com a donné la parole à Boutheina Ben Yaghlane, directrice générale de la Caisse des Dépôts et Consignations (CDC), Abderrazek Zouari, universitaire et économiste et Bilel Sahnoun, directeur général de la Bourse de Tunis.
Ainsi, Mme Ben Yaghlane a affirmé que «malheureusement, les équilibres économiques nécessitent aujourd’hui l’augmentation du taux directeur de la BCT afin de combler, entre autres, l’inflation ».
Mais, cette décision aura, selon ses dires, des répercussions négatives, notamment sur l’investissement. «Au moment où on a besoin que l’investissement avance davantage, une décision pareille aura un impact négatif ».
« Aujourd’hui, le fait est là et on devrait, par conséquent, agir tout en tenant compte de cette nouvelle donne. Pour ce faire, on a besoin qu’il y ait un peu plus d’implication de la part des banques pour financer l’économie et l’investissement », a-t-elle préconisé.
Au niveau de la CDC et de ses partenaires (sociétés de gestion) qui font un effort en capital-investissement, Boutheina Ben Yaghlane a indiqué que «nous devons prendre en considération cette décision pour donner plus d’élan à l’investissement et nous devons agir immédiatement ».
En ce qui concerne l’inflation, elle n’a pas manqué de considérer qu’un taux d’inflation à 7,1% est assez élevé et c’est la première fois que la Tunisie atteint un taux pareil. Et d’ajouter que pour endiguer l’inflation, il faut qu’il y ait, au niveau du gouvernement, notamment le ministère du Commerce, un frein à l’importation d’un certain nombre de produits de consommation.
« Une politique globale de lutte contre l’inflation s’impose »
De son côté, Abderrazek Zouari a rappelé que pour faire face aux pressions et tendances inflationnistes, la BCT doit prendre des mesures, à l’instar de l’augmentation du taux directeur, pour lutter contre l’inflation. « Mais l’inflation n’est pas entièrement d’origine monétaire pour qu’une telle mesure puisse permettre d’y faire obstacle », affirme-t-il, estimant qu’ «aujourd’hui, l’inflation en Tunisie peut être expliquée par d’autres facteurs, à savoir l’inflation importée, l’inflation par les coûts, … ».
Cela n’empêche qu’on ne peut pas reprocher, selon M. Zouari, à la BCT le fait qu’elle ait opté pour cette mesure parce que c’est la décision qu’il fallait prendre, malgré ses conséquences assez négatives sur l’investissement privé, la trésorerie des entreprises, et sur ceux qui ont contracté des emprunts…
Pour cette raison, Abderrazek Zouari a recommandé, parallèlement à la décision de la BCT, de s’attaquer aux causes profondes de l’inflation, notamment l’absence de contrôle, la baisse de la productivité, les facteurs structurels…
« On ne peut lutter contre l’inflation par le seul instrument de la manipulation du taux directeur. Il faudrait vraiment qu’il y ait une politique globale pour que la mesure prise par la BCT puisse donner de bons résultats », conclut-il.
« Risque d’un effet d’éviction de l’investissement en marché boursier vers les placements monétaires »
Bilel Sahnoun a, pour sa part, déclaré que l’augmentation du taux directeur de la BCT aura à court terme un impact négatif sur l’augmentation du TMM. «L’augmentation du TMM va réduire l’accès aux crédits à la consommation, ce qui va freiner un peu la consommation qui est aujourd’hui un des rares moteurs de la croissance qui marche en Tunisie».
Il y aura aussi, selon M. Sahnoun, un impact sur l’accès au financement pour l’investissement, qui est déjà atone. «Cela peut y avoir encore un autre motif pour retarder ou freiner la décision pour l’investissement », dixit l’interlocuteur.
Au niveau de la Bourse, le directeur général a annoncé que l’impact peut être très mauvais, parce que « lorsque le TMM augmente, la rémunération des placements auprès des banques va aussi augmenter. L’attrait des placements monétaires pourrait l’emporter sur le choix d’investir en Bourse. Et on risque, de ce fait, d’avoir un effet d’éviction de l’investissement en marché boursier vers les placements monétaires».
En ce qui concerne l’inflation, il a fait remarquer que «la décision d’augmenter le taux directeur peut être motivée, aujourd’hui, par le fait qu’on a atteint un niveau d’inflation alarmant et que ceci permettra de réduire un tant soit peu l’acuité et le dérapage de l’inflation. Mais la politique monétaire, à elle seule, ne peut pas, selon ses propos, juguler les problèmes de l’inflation. Notre inflation est en grande partie importée. Donc, ce n’est pas la politique des taux qui va éradiquer totalement l’inflation».
A noter que la hausse de l’inflation est due essentiellement à la forte augmentation de l’IPC en janvier 2018 de 1,1% contre 0,4% en décembre 2017. Et en prévision de cette accélération de l’inflation, la BCT a décidé à fin décembre 2017 d’élargir le corridor à 100 points de base et du taux directeur avec un taux de facilité de prêt marginal de 6%. De ce fait, le TMM a augmenté à 5,61% en février 2018.