C’est du niveau dérisoire de notre PIB qu’il faudrait s’inquiéter. Il n’a pas dépassé les 4 000 $ par habitant/an. Certes 4 000 $, 12 000 $ en PPA – parité mondiale en pouvoirs d’achat-, sont parmi les meilleurs niveaux de richesse en Afrique. Mais ne nous y trompons pas pour autant, nos indicateurs concurrentiels ne sont significatifs qu’en comparaison avec ceux de leur entourage méditerranéen, voire européen.
Doubler notre PIB, atteindre au plus tôt les 200 milliards de dinars de taille, est le sérieux objectif dont la Tunisie, son économie et son social, a le plus besoin. Seuls de tels niveaux de PIB nous laisseront converger vers ce qu’il nous faut comme richesse compétitive 20 000 $ PPA par habitant et par an, 7 000 à 8 000 $ US courant.
Ne pas dresser et déclarer les objectifs justes et corrects est une défaillance qui nous a éloignés du réel potentiel du pays. C’est ce qui explique que nos agrégats économiques sont largement en deçà des demandes réelles des gens. Depuis le temps que le cumul des imperfections s’aggrave, il devient urgent de dresser, de rendre visible et de suivre le tableau de la bonne économétrie nécessaire à la Tunisie.
Besoin d’un acte fondateur
Préalablement, il s’agit de voir que, sur des durées décennales et continues, la taille des crédits octroyés est restée en dessous des 50-60% des PIB. Deuxième volet de la question, les chiffres relatifs aux concours à l’économie, banques et marché financier confondus, montrent que dès le départ, l’initialisation de notre chaîne de financement était insuffisante et manquée. Tous nos bugs réels, économiques et sociaux, régions désertées, pouvoir d’achat, en ont découlé.
La croissance et la bonne vigueur économique, les 20 000 $/habitant, n’adviendront que par la réinitialisation de la dite chaîne à la valeur minimale et optimale, où notre PIB aurait dû se situer actuellement, 200 milliards de dinars. La marge que nous avons pour le faire et le réussir est immense.
En ce sens, le taux directeur de la BCT devrait se situer à des valeurs infimes. Cela accroîtra les crédits bancaires et les financements de marché. Sachant leurs fortes corrélations, l’accroissement des crédits multiplierait l’accroissement de nos PIB.
Taux directeurs, inflation, agrégats, évitons les excès
Taux, ratios, agrégats, réglementations financières et bancaires, il règne chez nous des confusions énormes. S’alarmer quant au niveau de la masse monétaire hors banques, s’alarmer quant aux niveaux franchis par les montants des refinancements bancaires, 12 milliards de dinars; nos craintes et soucis ne sont qu’exagérés.
Mouvements monétiques importants, compensations bancaires en limite et horaires tendus, financements et refinancements exponentiels, circulation monétaire rapide, paiements et livraisons dans le délai d’un jour, multidevises, multi-bourses et marchés, ne sont que les flux intenses et soutenus qui caractérisent les économies contemporaines. Vouloir les réduire, leur instaurer des plafonds comme nous voulons le faire pour le refinancement, créer des corridors de taux, c’est inventer des mécanismes démesurés dont l’impact ne sera que négatif et énorme en tassage et en appauvrissement des activités.
Sur notre marché bancaire et financier, ces flux restent même en deçà des tailles relatives et admises. Au contraire, nous devons agir pour mieux les libérer et les intensifier.
De même, l’exemple de l’inflation qui saute au premier rang des inquiétudes est frappant. La BCT relève son taux directeur de l’argent de 75 points de base. Et le risque de voir les taux d’emprunts s’amplifier, les crédits freinés, devient alors aussi pesant que grotesque.
Oublie-t-on déjà qu’actuellement, chez nous, les causes des augmentations des prix, de l’inflation, sont loin d’être bancaires? Et puis; s’il y a lieu de réagir arithmétiquement et vigoureusement, il vaut mieux le faire pour l’endettement extérieur qui fragilise les souverainetés. L’hypothétique inflation qu’emmèneraient les crédits est largement de faible risque par rapport au déficit continu de notre balance des paiements. L’inflation est de moindre mal. Retenons plutôt son rôle de soupape de sécurité économique qui donne du répit. En un an, on pourra la réduire de 100%, jamais on ne pourrait faire autant pour l’endettement souverain.
Augmenter le taux directeur pour contrer l’inflation, non, c’est contre-productif. Osons plutôt instaurer un quota maximum sur les exportations des agrumes et de l’huile d’olive, des dattes. Cela conduira à infléchir leur prix de vente exorbitants sur les marchés intérieurs. Instaurons plutôt des règles bancaires qui ne permettent le financement des importations commerciales que sur fonds propres en devises. Seules les entreprises publiques et les industriels peuvent en recourir pour leurs besoins et sans contraintes de fonds propres en devises.
Sans aucun doute, revenir aux statuts de la BCT s’impose à nous avec insistance. Depuis les textes de 2006, aucun texte fondateur ou statutaire n’assigne à la BCT un taux objectif en inflation. C’est une négligence énorme qui permet les interprétations absolues, les répercussions arithmétiques directes.
Situons cet objectif à un niveau élevé et quinquennal, 15 puis 12 puis 10%, réapproprions-nous le dinar et la bonne économétrie qu’il faut, nous mènera à s’occuper de l’essentiel.
Les conséquences aberrantes des excès
Le deuxième exemple phare, le FMI s’y est intéressé, est le ratio des salaires. Quand 15% du PIB sont en salaires publics, c’est la faiblesse du PIB et non le niveau élevé des salaires qui inquiète. Selon l’une ou l’autre des compréhensions, les solutions que vous préconiserez seront duales. L’une coûteuse et redondante, l’autre utile et de vrai salut.
Toutes nos intelligences économétriques, celles publiques, bancaires, financières, patronales et syndicales, sont appelées à s’unir et à se parfaire. Un recul auto-critique et analytique est nécessaire et leur sera, à toutes, bénéfique.
Parfois, et à elles seules, les observations relevées sur le quotidien sont parlantes. Nous n’avons pas besoin d’analyses empiriques poussées pour conclure que l’engagement à l’excès pour l’export a dégradé, en qualité et en prix, l’offre intérieure en produits et en services, a mis le dinar à presque à 1/3 de l’€.
Voire surgir les prémisses d’un marché parallèle pour les placements et les rémunérations de l’argent est un autre indice qui montre que la banque et que la finance réglementaire devraient mieux s’adapter et se parfaire.
Le schéma bancaire et financier dans lequel nous nous installons parait ainsi invraisemblable.
La BCT relève son taux directeur à 5.75%, met le taux de rémunération de l’épargne (TRE) à 5 %, et ce, sans jamais qu’il y ait maîtrise de l’inflation et sans jamais qu’il y ait, depuis 2008, amélioration de l’épargne.
D’autre part, le TMM courant, taux de base des crédits, a grimpé vers 5.61%. Taux excessif qui ne servira l’investissement ni en régions, ni en villes.
Et le TRE, pourquoi continuer à le subventionner depuis 2008 sans effet tangible? Au lieu qu’il soit à 3.61% (TMM-2), on le relève de 1.4 points. Cela nous met déjà dans l’inconséquence et l’indécence économique, s’alarmer pour la subvention du pain mais pas pour celle de l’argent.
La deuxième inconséquence est organique. Le fonds de garantie (Décret n°2017-268 du 1er février 2017) garantit-il l’épargne bancaire spécifiquement et totalement à 100%, tel que le bon sens économique et financier le veut? Sortons-nous du schéma fondamental qui fait que l’épargne bancaire, dans son nominal, dans sa valeur, est garantie par les banques centrales? Pourquoi décider et décréter son taux de rémunération alors?
Non seulement les règles d’intervention, d’organisation et de fonctionnement du fonds de garantie des dépôts bancaires devraient être revues- il faudrait dans l’attente les geler- mais aussi toute notre architecture du financement de l’économie est à reprendre.
Un financement de l’économie qui se dilue. Les investisseurs et les porteurs de projets ne viennent plus voir les banquiers en premier, ce qui est déjà le signe ostentatoire de notre échec à ce que chacun soit dans son rôle, métier et responsabilités.
Les promoteurs immobiliers qui demandent légitiment de hausser leurs parts en financement, la Bourse qui demande légitimement des Comptes CEA ‘Entreprises’, sont tous des indices que les métiers s’épuisent et combattent pour leur survie. Intervenir pour les uns ou pour les autres se répercuterait en impositions fiscales toujours plus élevées. En surcoûts en procédures et en lourdeurs pesantes et énormes. En somme, nous nous mettons tous dans un schéma enchevêtré redondant et complètement imparfait. Tous, acteurs et métiers, nous en sortirons perdants.
La BCT qui a un rôle de conseiller au gouvernement, gardons le meilleur des statuts actuels, devrait s’impliquer en pédagogie: indiquer aux investisseurs et aux entrepreneurs, de toute taille, que leurs seuls contacts et interlocuteurs sont les banques.
Ramener l’économie solaire et des énergies renouvelables aux banques. Ramener l’agriculture aux banques en appelant et en poussant à ce que toute exploitation agricole, élevage et culture, établissent des états financiers et des comptes de résultats qui lui sont propres. Cela est fondamental et nécessaire au financement de l’agriculture. Financement que nous avons toujours manqué de bien et de suffisamment faire.
Check-list à la BCT
Le temps presse et les délais se font courts. Il n’y a pas mieux qu’une check-list ouverte à adresser.
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Hausser, en 3 à 5 ans, le PIB vers les 200 milliards de dinars / Refaire pour cela l’architecture monétaire suivant un taux directeur BCT nul;
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Accepter le refinancement commercial (Crédits bancaires pour les fonds de commerce);
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Suspendre toutes les levées ‘Leasing’ sur le marché financier;
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Revenir aux Statuts BCT 2006 et les affiner : y inscrire que l’objectif est la seule croissance, se défaire de la contrainte inflation pour le moment, lui inscrire un objectif large jusqu’à 2030;
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Sortir la Supervision bancaire de la BCT et renforcer ses instruments et recours (notre taux en créances improductives est très élevé), supprimer la notion de capital minimum et élargir les agréments aux banques mutualistes;
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Exceptées les entreprises publiques, tout importateur financera ses importations commerciales par ses devises propres;
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Geler ou remettre en débat d’experts le Fonds de garantie bancaire / les asymétries qu’il présente sont multiples et contreproductives;
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Conseiller le non recours à la constitution de fonds de crédits par le Budget. / Fonds pour l’habitat, pour la PME, pour la micro finance.