Après un long combat contre la maladie, la chanteuse, compositrice, arrangeuse et activiste palestinienne Rim Banna est décédée, à l’âge de 51 ans, dans la nuit du 23 au 24 mars. La regrettée entretenait une relation particulière avec la Tunisie où elle a réalisé plusieurs concerts, avait plusieurs amis et des affinités avec des courants politiques. Il s’agit d’une artiste engagée contre la colonisation israélienne et contre les injustices dans le monde et particulièrement dans le monde arabe. D’après les spécialistes: « Sa démarche artistique est guidée par sa volonté d’exprimer l’identité du peuple palestinien à travers sa musique traditionnelle, qu’elle contribue à préserver et à promouvoir à travers ses disques et tournées dans le monde. Elle continue aussi à collecter les poèmes populaires et à les mettre en chansons, afin de les préserver de la disparition ». Nous présentons aux lecteurs de leconomistemaghrebin.com une interview exclusive intitulée « Irrésistible Rim Banna, musicienne résistante… », réalisée avec l’artiste en 2011.
Quand j’ai appris que Rim Banna était parmi nous à Tunis, je n’avais qu’un seul souhait : l’interviewer. Des années déjà que j’entends parler de cette chanteuse palestinienne, chantre de la musique engagée, une musique qui témoigne du malheur de son peuple. Pour elle, chanter rime avec résister. A la faveur de ses nombreuses visites en Tunisie, des liens affectifs se sont même tissés entre elle et de jeunes Tunisiens. Un attachement profond à la Tunisie, un parcours de chanteuse militante et une notoriété indéniable auprès des jeunes : autant de raisons pour faire enfin sa connaissance…
Comme le hasard fait bien les choses, il s’est avéré que mon ami Issam Rihani connaît très bien Rim Banna. Il se propose de jouer les intermédiaires et promet de faire son possible, sachant qu’elle vient d’annuler un entretien à une station de radio privée, quelques jours auparavant. Je reçois enfin le coup de téléphone tant attendu : rendez-vous lundi 16 février à 10h dans un café du centre-ville!
Pour alimenter les discussions, j’ai également invité à cette rencontre trois amis, qui ne se sont pas faits prier : Maha Jouini, activiste dans le domaine des droits de l’Homme, Hédi Dabbebi, poète d’expression arabe et Ahmed Ben Aïssa, artiste-photographe. À 10h tapantes, nous attendions tous au café. Rim ne tarde pas à apparaître, longue silhouette, cheveux noirs ruisselant autour de son visage, le Keffieh palestinien entourant son cou et un beau sourire illuminant les traits typiquement orientaux de son visage. Rien de protocolaire ou d’affecté dans cette rencontre, la chanteuse palestinienne étant d’une simplicité et d’une spontanéité inégalables. Comment ne pas être séduit d’emblée par cette artiste ?
Avec ses paroles mélodieuses– dialecte palestinien oblige– Rim Banna nous parle de son affection particulière pour le pays du jasmin : « Ma relation avec la Tunisie ne date pas d’hier : quand j’étais encore étudiante à Moscou, mon meilleur ami était Tunisien et je l’aimais beaucoup. Et puis, j’entendais beaucoup parler de la Tunisie comme modèle de réussite garantissant la liberté d’expression, la liberté de culte, l’absence de censure et autres. Je ne savais pas que c’était un leurre, une image propagée par les pays européens pour des raisons politiques… Lors de mon premier voyage en Tunisie, j’ai clairement compris que la réalité n’avait rien à voir avec l’image que je me suis faite du pays. Mes amis tunisiens n’ont pas manqué de me parler des atrocités commises par le régime de Ben Ali. »
Ce qui n’empêche pas notre interlocutrice d’être sensibilisée face au spectacle affligeant proposé par le paysage politique tunisien d’alors. Elle combat la censure des pages à contenu politique avec les moyens du bord : « Je téléchargeais les vidéos de YouTube – censuré à l’époque – sur mon profil Facebook et j’informais tous mes contacts de ce qui se passait en Tunisie afin de briser cette mascarade de démocratie. Plus tard, Facebook m’informe que mon compte a été supprimé ! L’explication ne tarde pas à surgir : plusieurs RCDistes n’ont eu de cesse de signaler mon compte afin de le faire éliminer. Là où il y a une cause noble, partout dans le monde, je me dois d’agir. » Ainsi, en 2008, l’artiste palestinienne n’a pas épargné ses efforts pour informer de l’insurrection du bassin minier de Gafsa, défiant et soulignant au passage l’absence des médias.
Concernant le conflit arabo-israélien, Rim demeure catégorique et inflexible : « Pas question pour moi de réaliser des duos avec des artistes israéliens, je ne veux même pas savoir ce que pense le public israélien de ma musique ! Ce qui compte pour moi, c’est mon peuple. J’ai même appelé à boycotter les intellectuels israéliens. »
Hormis des effluves politiques, l’univers musical de Rim Banna se compose essentiellement de chansons traditionnelles : « Conserver la mémoire et le patrimoine de mon peuple est l’une de mes préoccupations majeures. Je travaille beaucoup sur le patrimoine palestinien, j’essaie de le mettre en avant pour qu’il ne sombre pas dans l’oubli. Tous les genres musicaux m’interpellent et je suis même prête à collaborer avec des artistes en herbe à partir du moment où leur talent est perceptible. Cela ne peut que nous enrichir mutuellement… Je compte aller au Kef pour m’imprégner de son patrimoine musical que j’aime bien et que j’ai envie de saisir. » Rim affirme que l’art engagé ne doit pas négliger pour autant les considérations esthétiques : les deux sont indissociables. Sorti en 2004, l’album « Lullabies from the Axis of Evil » (« Berceuses de l’Axe du Mal ») est une riposte en chanson a comme sous-titre : « Message musical contre la guerre, adressé au Président américain George W. Bush, par des chanteuses de Palestine, d’Irak, d’Iran et du Norvège ». Rappelons que l’expression « Axe du mal » a été utilisée par George W. Bush pour désigner les pays précités (à l’exception de la Norvège). Le producteur norvégien de cet album avait pour intention de démontrer la beauté musicale de cet « axe du mal ». Rim nous confie même que « le producteur n’a pas pu retenir ses larmes quand j’ai interprété cette berceuse au studio. »
La sonnerie soudaine du téléphone interrompt puis met un terme à la rencontre. Un coup d’œil à ma montre : il est 12h30 ! Comme le temps passe vite avec des personnalités fascinantes et atypiques… Après s’être généreusement pliée à une séance photo, Rim se lève de table et prend congé sur un dernier sourire. Une rencontre vraiment inoubliable.
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