Au terme d’un scrutin étalé sur trois jours, la réélection du président égyptien Abdel Fatah Al-Sissi est un non-évènement, tant le scrutin présidentiel était acquis d’avance. Le score en dit long sur l’Egypte post-Tahrir.
Le maréchal Abdelfattah Al-Sissi et ancien chef de l’armée, est devenu le nouvel homme fort du régime. Sept ans après la chute du Raïs Hosni Moubarak, la contre-révolution égyptienne est toujours en marche. Le régime a sombré dans une dérive autoritaire perçue avec bienveillance par les occidentaux. Objet d’un culte de la personnalité, le président Abdel Fattah Al-Sissi a beau jeu de surfer sur une sorte d’hyper-nationalisme, sur fond de lutte contre le terrorisme islamiste.
Gage de stabilité, la majorité de la population est acquise à sa cause… Mais a-t-elle le choix?
La compétition présidentielle était biaisée non seulement par les restrictions au pluralisme/débat politique dans un régime qui a largement basculé dans l’autoritarisme. Non seulement le président sortant n’a affronté que des candidats fantoches, mais les Frères musulmans, classés «organisation terroriste», étaient exclus du scrutin (soit une situation en «régression» par rapport à l’époque Moubarak).
Au-delà du résultat, l’enjeu résidait notamment dans la capacité du régime à assurer la sécurité du scrutin (l’organisation de l’Etat islamique s’était engagée à empêcher la bonne tenue de l’élection). Si l’appareil sécuritaire du régime a relevé le défi, toutefois, le régime n’a pas réussi à mobiliser un corps électoral qui n’était pas dupe. La participation, estimée à 40% (soit 25 millions de votants sur les 60 millions de personnes inscrites sur les listes électorales, selon le quotidien d’Etat Al-Ahram), est en recul par rapport au scrutin de 2014.
Le mouvement de la Place Tahrir, né en janvier 2011, avait été confisqué par les Frères musulmans (qui remportèrent malgré tout les élections législatives et présidentielle de 2012) avant d’être étouffé par le coup d’Etat militaire de juillet 2013. Si la révolution de 2011 avait suscité des espoirs de liberté chez les Égyptiens, sept ans plus tard, Al-Sissi dirige aujourd’hui le pays d’une main de fer, réprimant fermement les opposants islamistes, libéraux ou laïques.
Après les épisodes révolutionnaire, puis islamiste, le nouveau régime mis en place repose sur un pouvoir autoritaire et centralisé autour de la figure du Raïs, un culte de la personnalité- entretenu par les médias- et une opposition politique largement muselée. La liberté d’expression, le pluralisme politique et donc l’idée même d’opposition ont été érigées en fiction. Les forces progressistes et la jeunesse de la Place Tahrir sont aujourd’hui réprimées par le pouvoir.
Un autoritarisme justifié par un discours officiel focalisé sur la menace politique et sécuritaire incarnée par les Frères musulmans et les djihadistes qui sévissent dans le Sinaï et ailleurs dans le pays. Pourtant, non seulement le régime de répression est généralisé et va bien au-delà de la mouvance islamiste, mais- derrière la stabilité apparente- cette politique répressive échoue à assurer la sécurité et la relance économique du pays.
Si la menace djihadiste est réelle (le pays a été frappé par de nombreux attentats depuis 2013), sur le plan économique, non seulement le programme de réformes lancé en 2016 a nourri une forte inflation, mais les déséquilibres structurels qui ont contribué au soulèvement populaire de 2011 demeurent prégnants : dépendance alimentaire et financière, pauvreté croissante …
Le libéralisme économique et l’intégration de l’économie égyptienne dans l’économie mondiale ne profitent qu’à un petit nombre, bien que le pays connaisse alors un véritable essor économique. Les inégalités sociales s’accentuent et la pauvreté explose sous le poids de l’accroissement démographique. Grand pays agricole de la région grâce aux terres fertiles de la vallée du Nil, paradoxalement l’Égypte est incapable de nourrir sa propre population.
Enfin, si son modèle d’éducation a permis l’exportation de cadres et de travailleurs qualifiés dans toute la région, le marché du travail peine toujours à absorber une jeunesse diplômée en proie aux frustrations. Son système éducatif, lui aussi privatisé, a échoué à endiguer l’analphabétisme qui touche encore la moitié de la population.
Ainsi, le bilan du président Al-Sissi est pour le moins négatif. La situation sécuritaire de l’Égypte s’est dégradée, la pauvreté continue d’augmenter et les libertés individuelles ne cesse de régresser. Les espoirs suscités par le soulèvement du 25 janvier 2011 ont cédé la place à de l’amertume et à la colère. Pourtant, la perspective d’une présidence al-Sissi à vie n’est pas à exclure.