Date repère, le 6 mai 2018, les électeurs tunisiens ont pris position par l’abstention. 66,3% des inscrits ont délaissé les urnes. Fait significatif, 1.796.154 électeurs sur 5.369.892 inscrits (la population totale de la Tunisie est de l’ordre de 11. 617. 825) ont participé au processus électoral. Constat évident, la jeunesse a fait défection. Prenons la juste mesure de la gravité de cette situation et n’occultons pas ce message.
L’électorat ne partagerait pas les enjeux de la classe politique. Il reste attaché aux soucis du quotidien: pouvoir d’achat, travail, santé, école etc. La guerre des sièges ne le concernerait pas, ni d’ailleurs les positionnements tactiques des partis. Il ferait valoir les urgences sociales. Est-ce à dire, qu’on rejette «le discours de la révolution» ? Les électeurs n’iraient pas jusqu’à cette position extrême. Mais ils réalisent que le pouvoir politique a perdu de vue leurs attentes.
L’élection a modifié la hiérarchie politique. Ennahdha, qui compte sur son noyau dur, occupe désormais la première place (27,5 %). Nidaa occupe le deuxième rang (22,5 %). Est-ce à dire que les rapports de forces ont peu changé puisque les élections ont consacré les deux partis, constituant l’armateur du gouvernement de «l’union nationale »? L’examen des résultats du sondage Sigma atteste qu’Ennahdha aurait perdu prés de 500.000 de ses électeurs de 2014. Nidaa, plus affecté par l’abstention, aurait été abandonné par un million de ses électeurs. Le grand gagnant est donc le tiers parti, celui de l’abstention. Les structures institutionnelles n’ont pas résisté à la défection générale. Beaucoup d’électeurs n’ont pas apprécié l’alliance contre-idéologie. Mais c’est l’occultation des attentes qui aurait plutôt marqué le paysage politique post-révolution.
La défection des jeunes, les grands acteurs de la contestation du «printemps» tunisien, aggrave la situation. Ils espéraient une Tunisie différente, faisant valoir leurs espoirs et leurs rêves. Certains d’entre eux souhaitent émigrer. D’autre vivent leur oisiveté et leur marginalité, sans perspective d’avenir? Comment restaurer la confiance, imaginer des projets du futur, réconcilier la classe politique avec le mouvement libertaire des jeunes, dichotomie grave, la puissance populaire et la représentation politique. Comment transgresser cette démarcation insidieuse? Il faudrait identifier les coulisses de l’opération, prendre acte du message de l’électorat et se remettre à son écoute.