Dans le cadre de son nouveau cycle de mini-conférences sur l’écosystème entrepreneurial en Tunisie, l’Agence de promotion de l’industrie et de l’innovation (APII) a organisé aujourd’hui à son siège à Tunis une première conférence sur la gouvernance et la nouvelle loi d’investissement, un an après son entrée en vigueur.
Censé encourager l’investissement dans le pays, ce nouveau cadre d’investissement n’est visiblement pas encore prêt. Son application montre malheureusement plusieurs faiblesses et défaillances. Les résultats sont décevants et en deçà des objectifs escomptés.
Malgré l’entrée en vigueur le 1er avril 2017 de la nouvelle loi d’investissement, les intentions d’investissement ont en 2017 enregistré une baisse par rapport aux années précédentes et plusieurs défaillances et manquements ont été relevés par les investisseurs et les observateurs.
Pour rappel, la gouvernance de l’investissement est notamment liée, comme cela est prévu dans les articles 11 et 18 de cette loi, à la mise en place du Conseil Supérieur de l’Investissement, la Haute Instance de l’Investissement, le Fonds Tunisien de l’Investissement, les Commissions régionales et les décrets d’application. Un an après, seuls le Conseil Supérieur de l’Investissement et la Haute Instance de l’Investissement ont été mis en place.
Les premières observations montrent que la transition de l’ancien code (publié en 1993) vers la nouvelle loi d’investissement est lente. Cela a provoqué une dégradation de l’investissement et impacté la création de projets structurants. Plusieurs avantages dans l’ancien code ont même été supprimés.
Comment en est-on arrivé là?
La multiplicité des procédures « de façades » et des intervenants et la profusion des textes réglementaires en matière d’investissement ont créé une ambiguïté à plusieurs niveaux auprès des investisseurs, notamment des jeunes promoteurs, qui se retrouvent face à des interprétations différentes des textes. Ces interprétations sont essentiellement le résultat de défaillances observées au niveau de la synergie conceptuelle (contenu des différentes lois); et ce, par manque de clarté, notamment au niveau des incitations aux investisseurs.
Par exemple, pour recenser les projets créés, il faut faire le tour d’environ 16 organismes (APII, APIA, BFPME,…). Idem au niveau des régions intérieures, la multiplicité des institutions et le manque de synergie entre elles ont beaucoup favorisé la bureaucratie, la lenteur des procédures administratives et l’allongement des délais d’octroi des autorisations nécessaires.
Les témoignages présentés aujourd’hui par les différents investisseurs prouvent le manque de coordination entre les différentes institutions d’encouragement à l’investissement. Pour la nouvelle loi d’investissement, les principaux obstacles sont aussi liés à l’absence des décrets d’application, à l’ambiguïté des procédures pour l’octroi des primes et des incitations à l’appui à la recherche et développement (R&D), aux problèmes fonciers et au financement des extensions.
Pour Samir Bechouel, directeur général de l’APII, la liberté de l’investissement doit prévaloir et les autorisations doivent faire l’exception. «La gouvernance demande une synergie entre les différents intervenants dans l’investissement», a souligné le directeur général de l’APII.
Investissement : une transition dans la douleur
«La transition de l’ancien code vers cette nouvelle loi se passe dans la douleur. Nous avons besoin de réactivité pour gagner la bataille de la concurrence. Une évaluation sérieuse s’impose parce que certains points sont à revoir», recommande Hichem Elloumi, vice-président de l’UTICA.
Mondher Ben Brahim, directeur central à la Haute Instance d’Investissement a appelé à tirer la sonnette d’alarme et a également souligné que l’investissement n’est pas seulement une loi, mais tout un écosystème qui doit être mis en place avec l’amélioration du climat d’affaires, notamment à travers la modernisation de l’infrastructure, l’amélioration du cadre de vie dans les régions et la présence d’une main- d’œuvre qualifiée. «Il faut un seul cadre d’investissement», dit-il.
Tirad Labban, président du Groupement professionnel BTP relevant de la Conect, a pour sa part déploré la faiblesse au niveau de tout le système informatique du pays qui selon lui doit être revu. «Ce n’est pas seulement l’avantage qui va encourager l’investissement. L’absence des décrets d’application pénalisent une nouvelle loi d’investissement», a-t-il précisé.
Et d’ajouter que l’économie tunisienne avance à double vitesse, notamment en matière des exportations. Pour améliorer les conditions d’investissement, M. Labban a proposé la révision des autorisations en matière d’innovation, la nécessité de s’attaquer aux problèmes fonciers et la création des cellules des veille.
Selon Malek Guelleti, vice-président du Centre des Jeunes Dirigeants, la nouvelle loi d’investissement a facilité l’approche entrepreneuriale dans le pays, mais elle n’a pas de sens sans la publication des décrets d’application. Malek Guellet qui mentionne le problème de retour de l’information, a par ailleurs revendiqué l’élaboration d’un statut particulier pour les jeunes entrepreneurs et la facilitation de l’accès au financement à ces jeunes. «Les mécanismes de financement au profit des jeunes promoteurs sont aujourd’hui presque à l’arrêt», a-t-il déploré.
Hédi Zaher, président de l’Association Tunisienne des Startup et CEO de DataVora n’a pas manqué de souligner l’absence des indicateurs de suivi une année après l’entrée en vigueur de cette loi. Pour lui, le retard dans les délais d’octroi des autorisations, des incitations et des primes favorise la diminution de la capacité de production et de croissance des entreprises. «Chaque trois jours de retard diminuent de 1% la vie d’une startup !», regrette-t-il.