Jinan Limam, enseignante de droit public à la Faculté des Sciences juridiques, politiques et sociales de Tunis, soutient que l’Accord de Carthage 2 est une violation flagrante de la Constitution de 2014 et que les instances qui en découlent sont des instances parallèles aux instances constitutionnelles. Regard critique sur l’Accord de Carthage 2.
La juriste ne manque pas de jeter un regard critique sur l’Accord de Carthage en multipliant les arguments. Elle estime que l’Accord de Carthage 2 n’est pas conforme à l’architecture institutionnelle prévue par la Constitution de janvier 2014. « Ces mécanismes parallèles ont été créés en marge de la Constitution, pour ne pas dire en violation de la Constitution. L’Accord de Carthage 2 et ses mécanismes de consultation, de concertation, la feuille de route qui en découlent, la mise en place d’un comité de suivi pour veiller à l’exécution de l’accord sont parallèles et anticonstitutionnels. Nous sommes face à une sorte d’institution hégémonique qui va émerger de l’Accord de Carthage 2 sans aucune assise juridique », assène-t-elle.
Une institution hégémonique sans assise juridique
La juriste considère que les procédures précitées dénaturent le régime politique tunisien, en en faisant « un régime hybride » qui déroute le jeu démocratique entre les institutions. « .
Se référant à la Constitution de 2014, la jeune juriste a tenu à rappeler que la Constitution de 2014 a indiqué clairement les prérogatives des trois présidences. « On peut ne pas être d’accord, mais au moins le jeu institutionnel est bien clair et les acteurs politiques peuvent agir en fonction de ces dispositions », fait-elle savoir.
Pour appuyer ses propos, elle ne manque pas de citer des exemples. Elle a rappelé qu’il revient au Chef du gouvernement de déterminer la politique générale du pays et de veiller à sa mise en œuvre, sans empiéter sur les prérogatives qui reviennent au Président de la République dans le domaine de la défense, des relations étrangères et de la sécurité nationale.
Jinan Limam affirme qu’il est mentionné dans l’Accord de Carthage qu’il va y avoir un comité parallèle qui va s’ériger en instance suprême en Tunisie et qui va veiller à l’exécution par le gouvernement ou le nouveau gouvernement du programme décidé dans l’accord. « C’est un point manifestement anticonstitutionnel. On vide la Constitution de sa substance en matière de décideurs », affirme-t-elle.
Quel impact pour l’Accord de Carthage ?
L’impact de cette procédure se place au niveau de la détermination des responsabilités de chaque pouvoir (présidence du gouvernement, présidence de la République et l’ARP) qui devra rendre des comptes. La Constitution fixe les prérogatives de chaque pouvoir. Pour changer de chef de gouvernement, l’ARP vote une motion de censure puis passe à un vote de confiance relatif à la poursuite ou non de l’action gouvernementale. L’article 99 accorde la possibilité au Président de la République de demander à l’ARP de procéder à un vote de confiance au gouvernement.
S’agissant de l’Accord de Carthage, « le Président de la République joue un rôle surdimensionné », observe Jinan Limam, alors que la Constitution accorde le droit au Président de la République de désigner un nouveau Chef du gouvernement, après le retrait de la confiance à l’ancien chef du gouvernement ».
Et d’ajouter que dans le cadre de l’Accord de Carthage, le Président de la République déclenche toute cette procédure sans se soucier du rôle de chaque pouvoir clairement délimité par la Constitution. « Le régime politique se trouve dénaturé, une sorte de régime présidentiel prend le dessus », conclut-elle.
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