Le chef du gouvernement a défendu, dans son allocution télévisée du 29 mai 2019, son bilan économique. Comme il a promis d’aller de l’avant pour dépasser les difficultés. Mais y a-t-il de quoi pavoiser?
Youssef Chahed a, pour certains, tenu la vedette en résistant à ses détracteurs, notamment Nidaa, le parti dont il est issu, et dont la direction s’est désolidarisée de son action à la tête du gouvernement. Elle a plaidé en faveur de son départ.
Pour leur faire face et légitimer son «J’y suis, j’y reste », le chef du gouvernement a voulu faire valoir son bilan et ses projets pour faire sortir le pays de la crise, notamment économique, dans laquelle il se débat.
Or, son bilan n’est pas aussi reluisant que cela est dit. Et ses projets, notamment son triptyque (l’équilibre politique, les grandes réformes et la lutte contre la corruption), comme son Conseil national du dialogue, qui doit accueillir les partenaires sociaux, ne seront pas nécessairement couronnés de succès.
Commençons par son bilan pour dire que les succès annoncés sont fragiles et insignifiants. Que cela soit pour le tourisme, le taux de chômage, le taux de croissance ou encore l’effort d’investissement, tout le monde reconnaît qu’ils dépendent d’une conjoncture et ne sont pas le résultat de choix économiques et sociaux initiés par le gouvernement Chahed.
Les succès engrangés sont-ils, et sans grossir le trait, le fruit d’une amélioration du rendu du système financier arborant un crédit des plus chers de la zone? Ou d’une amélioration d’une fiscalité « punitive » – l’adjectif est du président de l’Union tunisienne de l’industrie, du commerce et de l’artisanat (UTICA).
Les 4 et 5% de Ben Ali ont-ils amélioré le vécu du chômage?
Les Tunisiens ont-ils, en outre, amélioré leur rendement à l’usine et dans les bureaux? Ou ont-ils un moral qui crève le plafond leur donnant l’espoir d’un avenir meilleur, ce qui est de nature à les pousser à donner le meilleur d’eux-mêmes ?
Nous sommes, par ailleurs, bien loin des résultats enregistrés, et pour l’essentiel, au cours des années qui ont précédé l’avènement de la révolution du 14 janvier 2011. Même s’il s’agit d’un léger mieux et que Youssef Chahed a dit clairement, en prenant la peine d’annoncer qu’il ne s’agit pas d’un «Tout va très bien, Madame la Marquise». On imagine bien qu’une croissance de 2,5% ou même les 3% attendus pour le second trimestre 2018 ne sont pas des faits d’armes et ne peuvent vraiment arranger efficacement les choses.
Les gouvernements Ben Ali ont fait du 4 et 5% sans pour autant avoir amélioré le vécu du chômage. Idem pour la baisse de 1,9% du chômage chez les diplômés, passant de 31,3% au premier trimestre de 2017 à 29,3% au cours de la même période de l’année en cours.
Les succès annoncés par Youssef Chahed au cours de son allocution télévisée du 29 mai 2018 ne peuvent, donc, occulter – loin s’en faut- un marasme macroéconomique fait d’échecs tonitruants à de nombreux niveaux : équilibres des comptes, caisses sociales, inflation, parité du dinar, pouvoir d’achat…
Le chef du gouvernement a certes fait l’annonce de tout faire pour redresser la barre au niveau des dossiers cités plus haut. Mais, faut-il le croire ? Nombre de Tunisiens, qui vivent au quotidien des difficultés, n’ont rien vu vraiment venir d’important depuis qu’il s’est installé au Palais de la Kasbah.
Des turbulences qui peuvent provoquer… des crashs
Et on se demande que pourrait faire le gouvernement Chahed pour aller de l’avant autre que ce qu’il a entrepris? Ne faut-il pas dire, comme le soutient, par exemple, l’Union générale tunisienne du travail (UGTT), que «dans tous les pays démocratiques, le gouvernement qui échoue présente des excuses à son peuple et démissionne»?
Discours partisan doivent penser sans doute les défenseurs de l’action gouvernementale de la part d’une organisation qui plaide pour le départ du chef du gouvernement. Reste qu’on est en droit de se demander que pourrait faire Youssef Chahed avec des partenaires divisés à son endroit et dont une partie estime qu’il n’a plus rien à faire?
Comment pourra-t-il fédérer les énergies, par exemple, avec une UGTT, un partenaire incontournable depuis que le premier président de la République, Habib Bourguiba, a compté sur son solide soutien pour chasser son concurrent Salah Ben Youssef des arcanes du pouvoir au congrès du Parti Socialiste Destourien (PSD) de Sfax (15-18 novembre 1955), qui donne toute l’impression de ne plus vouloir faire avec lui un petit bonhomme de chemin.
Idem concernant Nidaa Tounes, qui quelles que soient les motivations de sa direction et ses divisions, reste avec sa soixantaine de représentants à l’Assemblée des Représentants du Peuple (ARP) une expression citoyenne qui occupe un pan important de la scène politique.
Autant dire que les projets défendus dans son allocution et son Conseil du dialogue national risquent d’aller, dans un contexte marqué par la préparation des échéances électorales de 2019, à la rencontre de turbulences qui peuvent provoquer… des crashs.
Un proverbe dit bien «Chat échaudé craint l’eau froide». En clair, que pourrait donner un dialogue national de mieux que les débats du Document de Carthage 2 qui a été un échec!
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