Un leader est né, et que sais-je encore; tout s’est emballé après l’allocution de Youssef Chahed sur El Watania 1; dans ce pays, on s’emballe pour tout et pour rien; c’est même devenu une très mauvaise habitude depuis ce fameux 14 janvier 2011; certains l’ont aimé chaud, d’autres se sont gargarisés et ont ricané; sahha ennoum, bon réveil diront les détracteurs acharnés du locataire de la Kasbah.
« Mon unique souci est la préservation de l’intérêt général de la Tunisie », a martelé le chef du gouvernement qui n’a pas exclu une restructuration de son équipe gouvernementale, une façon de dire à Ennahdha son plus fort soutien, que ses désirs sont des ordres. Vous allez voir ce que vous allez voir, a semblé dire M. Chahed; non seulement à ceux qui réclament à cor et à cri son départ, mais également aux Tunisiens qui doutent, quant à sa capacité à gérer le pays comme un grand, et dont une bonne partie a boudé son intervention cathodique, habitués qu’ils sont à des apparitions sans vrais lendemains.
Même le format de l’intervention où le solennel a pris le dessus, a été fortement critiqué par les professionnels de la communication qui ont estimé qu’un feu croisé avec deux journalistes contradicteurs aurait permis un meilleur éclairage, au lieu de ce qu’on a pu voir, et qui s’apparente plus à un règlement de comptes et à une prise à témoin du bon peuple sur un sujet qui est le dernier de ses soucis, même si son impact désastreux sur la situation générale du pays est indéniable.
Depuis le temps que Chahed parle de réformer
Que des partisans gonflés à bloc sortent pour encenser leur favori et dire qu’il a la graine d’un grand dirigeant, alors que ses adversaires les plus farouches ont trouvé dans le message télévisé du chef du gouvernement une occasion supplémentaire pour enfoncer le clou, cela participe de ce nouveau spectacle offert par la révolution où l’effusion des bons comme des mauvais sentiments est devenue presque une marque de fabrique. Cela étant, on annonce une année blanche pour l’enseignement supérieur, encore une, pour raison de boycott administratif de la part des professeurs; on parle de 150 000 étudiants qui seraient touchés; un autre bras de fer dans le monde du savoir, qui en a entendu parler? Je ne suis pas expert pour dire quelle est la meilleure façon de traiter la crise de l’université tunisienne qui est non seulement bien réelle et qui a tendance à s’aggraver; en revanche, je dirais que les plus grands perdants, ce sont bien sûr l’enseignement et la recherche.
Depuis le temps que M. Chahed parle de réformer; cette fois-ci, il vient enfin de fustiger publiquement ceux qui dans son propre camp lui mettaient les bâtons dans les roues. Dans quel pays sommes-nous? Pour tout vous dire, c’est à s’arracher les cheveux de colère et manquer de s’étrangler devant un mauvais film dont on repasse en boucle les séquences. Je ne suis pas sûr que le chef du gouvernement soit vraiment connecté avec le quotidien, et si vous voulez un exemple, en voici un des plus significatifs de cette débandade généralisée: quinzième jour de Ramadan, marché de l’Ariana, aux alentours, une multitude de vendeurs à la sauvette et d’innombrables étalages sauvages rendant difficile le passage; et tout ça, au nez et à la barbe de quatre véhicules des forces de l’ordre qui semblent être là pour l’apparat.
Quand j’ose demander des éclaircissements à propos d’une présence policière plus figurative qu’autre chose, un gradé m’avance la réponse suivante: on ne peut pas intervenir à moins de provoquer des suicides collectifs ou des agressions à l’arme blanche, nous avons des familles… j’étais stupéfait.
Un mot sur notre cher voisin libyen pour dire si Paris m’était conté! Encore une fois, les frères ennemis en conflit en Libye ont montré toute l’étendue de leurs divergences et de leur inconséquence en préférant aller dans une capitale étrangère intéressée chercher le salut. Beaucoup de dits et de non-dits sur l’initiative française et sur les fabuleuses richesses naturelles sur lesquelles est assis le pays; et Dieu sait combien sont nombreuses les convoitises; sur la photo de famille, c’est à peine si on a pu entrevoir le président Essebsi masqué qu’il était par le maréchal Haftar. Mais où est donc passée l’initiative présidentielle?
La diplomatie tunisienne aura beau s’agiter pour bien montrer qu’elle est incontournable, sans vraiment peser; on peut espérer qu’elle pèsera quand la reconstruction du pays interviendra. La course aux contrats, elle, est déjà engagée; et pour espérer avoir une place au soleil, il n’y aura pas que les bons sentiments entre voisins et frères…
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