Le 10 décembre 2018 est une date à enregistrer. Les frères ennemis libyens ont enfin convenu d’une date pour la tenue des élections générales dans le pays. Des élections sur lesquelles la communauté internationale mise trop, dans l’espoir que cela permettrait de rétablir la paix et la stabilité en Libye, pays martyrisé par un conflit qui a assez duré. Cependant, la question que se pose plus d’une partie, concernée par la situation libyenne, est celle de savoir si c’est la solution?
A rappeler que le processus a été enclenché en septembre 2018, lors de l’assemblée générale ordinaire des Nations Unies qui a adopté un plan d’action proposé par Ghassan Salama, envoyé spécial du secrétaire général des Nations Unies en Libye. Le plan se base sur une phase capitale, celle d’aboutir, fin 2018, à la tenue d’élections générales, permettant d’élire un président au suffrage universel et de mettre en place des institutions démocratiques. Du coup, c’est tout un processus de négociations qui a été mis en route par Salama qui a eu des entretiens multiples avec pratiquement tous les acteurs politiques, sociaux et même militaires. Parallèlement, une instance indépendante des élections a été mise en place et a entamé, et achevé, l’opération d’enregistrement des électeurs et c’est finalement 2.300 mille Libyens qui se sont inscrits, se déclarant ainsi favorables à la tenue des élections.
Cette opération qui a suscité tant d’engouement chez la classe politique libyenne, mais surtout chez la communauté internationale, s’est accompagnée en même temps d’un scepticisme qui s’est timidement manifesté. La première instance qui a exprimé des réserves concernant ces élections, mais dont la prise de position n’a pas été accompagnée du suivi qu’elle mérite, fut l’Organisation de l’union africaine, lors du sommet tenu à Adis Abeba en novembre 2017. L’OUA a appelé, par l’intermédiaire de son commissaire aux politiques étrangères, les Libyens à ne pas se précipiter sur la voie des élections.
Vraisemblablement, cette réserve n’a pas suscité l’attention des Occidentaux pour le fait qu’elle ne converge pas avec leur conviction, mise à rude épreuve à plusieurs reprises, que les élections représentent le remède magique à tous les maux de la politique. Cependant, seule une analyse objective de la situation libyenne permet de savoir si les élections constituent, ou non, une sortie de crise pour la Libye.
Une chose est sûre, la situation sur le terrain en Libye, et indépendamment des tractations politiques de part et d’autre, ne fait que renforcer le doute.
D’une part, on est en droit de se demander si des élections sont possibles sur fond de conflits armés. La Libye d’aujourd’hui ressemble à un champ de bataille ouvert à toutes les éventualités. Une situation de désintégration totale de l’Etat, où chaque ville, chaque tribu, chaque famille, à sa propre armée. Où des affrontements peuvent surgir entre tribus, villes et individus pour des causes futiles. Ceci en l’absence d’un pouvoir central capable d’imposer l’ordre. Et l’on sait très bien que, plus important que les élections en elles- mêmes, l’acceptation des résultats du scrutin par les différentes parties, est l’acte légitimateur des élections.
Pourrait-on alors aboutir à une telle issue dans une société dépourvue de traditions et de culture démocratique et où les armes, différentes catégories confondues, circulent comme du pain et sont à portée de main pour tout le monde.
Qui sont les protagonistes en Libye?
D’autre part, à quel comportement pourrions-nous nous attendre de la part des principaux acteurs politique libyens, à savoir, Khalifa Haftar à l’Est et Faiez Sarraj à l’Ouest ? D’ailleurs, et à l’occasion même de ce congrès de Paris, les deux hommes ont envoyé des messages l’un vers l’autre qui pourraient être qualifiés d’hostiles. Juste avant d’embarquer vers Paris, le bureau de Haftar a publié un communiqué, signé par le maréchal lui-même, dans lequel il dit être prêt à aller combattre les intégristes et djihadistes à Tripoli même, c’est-à-dire dans la région supposée être sous l’autorité de Sarraj « protégé », il faut le dire, par ces milices visées par le communiqué de Haftar.
La réponse de Sarraj ne s’est pas fait attendre, dans son allocution lors du congrès, il a dénoncé la guerre menée par Haftar contre les Moudjahidines de la Choura de Derna, considérés par les milices au service de Sarraj comme des révolutionnaires. Sarraj a appelé en outre la communauté internationale à intervenir pour arrêter le « massacre » à Derna et pour épargner la vie des civils et mettre fin à une situation humanitaire catastrophique. Un message qui pourrait être compris comme un appel à l’intervention étrangère qui ne peut pas être du goût de Haftar, trop « souverainiste ».
En tout état de cause, il semble que les conditions sine qua non, pour la tenue d’élections générales en Libye, ne sont pas encore réunies. Ce qui est à craindre, c’est que le pays pourrait courir à la scission et à l’effritement, dans le cas de la tenue de ces élections.