Le redressement économique de la Tunisie est encore possible. Ezzeddine Saidane nous dit par le menu détail comment et par quel moyen on y parviendra. Première partie de l’interview publiée sur les colonnes du numéro 740 de l’Economiste Maghrébin (magazine).
Que pensez-vous de la loi relative au traitement des créances des banques publiques ? Permettra-t-elle aux banques publiques plus de latitude à l’instar des banques privées, notamment de recouvrer une partie de leurs créances classées ?
Je pense qu’il faut tout d’abord rappeler que le système bancaire et financier est un des moteurs essentiels de n’importe quelle économie, notamment une économie en croissance. Si ce moteur fonctionne bien, l’économie suivra et s’il fonctionne mal, il va sans dire que l’économie ne peut avancer au rythme souhaité.
En Tunisie, pendant plusieurs années, nous avons eu un système bancaire à deux vitesses, constitué par des banques publiques, qui ont eu le mérite de participer largement à la construction de l’économie tunisienne, et des banques privées. Mais les banques publiques ont toujours fonctionné avec des règles très strictes qui n’ont pas pour autant empêché les abus, si bien qu’elles étaient empêtrées dans une situation extrêmement difficile où la prise de décision en général passait par un processus long, qui faisait perdre à la décision son caractère essentiel, celui de la rapidité pour pouvoir faire face à des situations complexes.
Cela était vrai pour les décisions de gestion mais c’était encore plus vrai pour les décisions d’investissement. Si on compare aujourd’hui, par exemple, l’investissement des banques publiques dans deux domaines essentiels, qui sont l’investissement dans la technologie par rapport aux banques privées, on trouve un décalage énorme. Les banques publiques ont très peu investi dans la technologie et se sont retrouvées largement dépassées aussi bien par les banques privées sur le marché local que par les banques opérant dans d’autres pays.
Le deuxième domaine sensible est celui de la formation des compétences. Au niveau des banques publiques, on était plus préoccupé par la récupération de la TFP (taxe à la formation professionnelle) que par la formation des compétences. Ce qui a fait perdre aux banques publiques non seulement leur part de marché mais suite aux mauvaises performances, elles ont accumulé une masse importante de créances classées.
En matière de gestion des créances classées, les banques privées disposent de tous les moyens pour solutionner les problèmes relatifs à ces créances. Une créance classée est une forme d’échec qui nécessite une solution. Dans cette phase, les banques privées ont toute la souplesse nécessaire pour transiger avec les clients et trouver une solution qui permet aux deux parties d’avancer.
Au niveau des banques publiques, il leur était interdit par la loi de transiger avec les clients. La sonnette d’alarme a été tirée, à maintes reprises, pour dire que cette mesure ne sert pas les intérêts des banques publiques, mais qu’elle les handicape et donne un avantage aux banques privées, si bien que le client s’oriente plus vers ces banques.
De plus, les tentatives qui ont été faites pour solutionner les problèmes des banques publiques n’ont pas abouti car il fallait mettre en place une stratégie globale et viable. Autrement, le résultat ne sera que très partiel pour ne pas dire négligeable. Tel est le cas de la recapitalisation des banques publiques, et ce parce qu’on a dépensé des sommes énormes de l’argent de l’Etat et du contribuable sans modifier la gouvernance, les méthodes de gestion et sans leur accorder la souplesse nécessaire pour que ces banques puissent en profiter. L’on a aussi révisé à la hausse les salaires des dirigeants de ces banques sans se soucier des méthodes de bonne gestion leur permettant de jouer pleinement l’exercice de la concurrence avec les autres banques de la place.
Tel est le cas aussi de la dernière loi bancaire qui a été décevante puisqu’elle n’a pas apporté de solutions aux véritables problèmes vécus par le système bancaire en général, et les banques publiques en particulier.
Aujourd’hui, on se retrouve dans la même situation et les mesures qui ont été prises, aussi coûteuses soient-elles, n’ont pas réellement apporté les résultats escomptés. Et quand on se réfère aux dernières déclarations de Monsieur le Ministre des finances quand il a dit que la recapitalisation des banques publiques a commencé à porter ses fruits, je dois relativiser une telle affirmation car les fruits dont il parle proviennent pour l’essentiel du rendement des nouveaux capitaux injectés.
En fait, l’amélioration des résultats de ces banques est due quasi exclusivement à cette opération d’injection de fonds de l’Etat et donc de recapitalisation.
Cela nous amène à d’autres questions très importantes : est-ce que l’Etat a véritablement besoin de posséder des banques dans l’état actuel des choses en Tunisie ? Est-ce que, comme le disent certains, l’Etat a véritablement besoin d’un bras financier ?
En réponse à ces interrogations, je pense que l’État n’a pas besoin d’un bras financier parce que nous constatons que les lois et les réglementations de la BCT s’appliquent exactement de la même manière à toutes les banques. Donc, ce n’est pas la propriété du capital qui fait la différence. La propriété du capital des banques ne donne aucun avantage à l’État.
Par ailleurs, si l’Etat veut influencer la gestion des banques d’une manière ou d’une autre, favoriser le financement d’un secteur ou d’un autre et d’une catégorie d’entreprises ou d’une autre, il peut parfaitement le faire à travers les lois et les circulaires de la BCT. De ce fait, on n’aura plus le problème des banques publiques qui doivent être recapitalisées, faisant perdre périodiquement à l’Etat des ressources extrêmement rares actuellement et qui auraient pu être utilisées à d’autres fins.
Je pense que malgré le nouveau projet de loi, qui a été dénaturé par rapport à son objectif d’origine, nous restons loin de la solution idéale qui consiste à avoir un véritable système bancaire au service de l’économie et non pas au service de l’administration et du gouvernement.
A cet égard, le caractère public des banques n’a plus de sens aujourd’hui. Nous devons restructurer nos banques publiques, quitte à les privatiser. Nous pourrions ainsi passer à la poursuite d’un objectif beaucoup plus important, celui de leur internationalisation pour qu’elles puissent accompagner l’objectif suprême qui consiste à internationaliser notre économie qui a malheureusement beaucoup perdu au niveau de ses indicateurs essentiels et de ses fondamentaux.
Une relance de notre économie est toujours possible mais elle ne peut être réalisée sans un système bancaire efficace, efficient, performant et qui peut tenir la comparaison avec les systèmes bancaires des pays concurrents et des pays partenaires, notamment l’Europe.
Nous pouvons peut-être lier cette relance aussi avec les négociations de l’ALECA qui pourraient aboutir à l’ouverture de deux secteurs extrêmement sensibles, qui sont les services et l’agriculture. Dans les services, il y a les banques. Donc est-ce que nos banques telles qu’elles fonctionnent aujourd’hui et notamment la partie publique, vont pouvoir tenir cette concurrence ? Si l’ALECA ne profite pas à l’économie tunisienne, nous n’en avons pas besoin. A mon avis ceux qui s’opposent aujourd’hui à l’ALECA, n’ont peut-être pas encore compris qu’aucune économie au monde ne peut vivre isolée et notamment les petites économies, comme l’économie tunisienne.
Mais des questions demeurent : comment va-t-on négocier l’ALECA ? Qui va le négocier ? Sur quelles bases et sur quels délais nous allons le négocier ? Comment faire pour que l’ALECA soit à l’avantage de la Tunisie et non pas un handicap pour notre économie ?
Aujourd’hui avec un taux d’endettement qui dépasse les 70% du PIB, un contenu en devises très élevé, une dépréciation du dinar notable, un recul des exportations et une détérioration de la balance commerciale qui oblige d’emprunter encore, la dette de la Tunisie est-elle soutenable, ou va-t-elle compromettre le développement du pays ?
Je tiens à préciser d’abord que la dette publique de la Tunisie n’est pas au niveau de 70% du PIB. Elle est même proche de 85% du PIB. En effet il y a une partie de la dette publique qui n’est pas prise en compte dans ce taux-là.
Aujourd’hui, les entreprises publiques ont contracté plus de 12,5 milliards de dinars de dettes garanties par l’Etat. Quand on connaît la situation de la plupart de ces entreprises, on sait d’avance qu’en définitive, il reviendra à l’Etat de rembourser ces dettes, faisant monter ces ratios à plus de 80%.
D’après les expériences internationales et les études qui ont été menées dans le monde, lorsqu’on franchit le seuil de 60% du PIB, la dette publique devient contre-productive et son coût devient plus important que la richesse supplémentaire créée. L’endettement, et notamment dans sa composante extérieure, devrait être exploité pour financer les investissements publics et booster la croissance. La richesse supplémentaire peut ainsi être créée et le rythme de la croissance économique peut être accéléré.
Il y a un calcul important qui doit être fait en permanence. Si la dette publique s’élève à 80% du PIB, et que son coût moyen s’élève à 3%, le coût de cette dette représenterait environ 2,5% du PIB. Ce coût veut dire que lorsque nous réalisons un taux de croissance économique de 2,5%, l’économie fonctionne uniquement pour payer les intérêts de la dette et nous ne réalisons aucune amélioration du niveau de vie du citoyen. Bien au contraire le niveau de vie du citoyen baisse, entre autres à cause de la croissance démographique.
Lorsqu’on réalise moins que 2,5% de croissance, le différentiel est en train d’être payé de la chair même de l’économie et non pas d’une richesse supplémentaire créée. Pour créer cette richesse et des emplois durables, la Tunisie doit réaliser un taux de croissance de 6% et plus.
Je voudrais citer un autre repère important : entre 2000 et 2010, la Tunisie avait réussi à faire baisser son niveau de dette publique de 1 point de pourcentage par an en moyenne, passant de 50% en 2000 à 40% du PIB en 2010. Et si aujourd’hui nous sommes à 70% ou même à 80% du PIB, on peut imaginer et calculer l’effort en nombre d’années nécessaires pour revenir à des niveaux de dette publique soutenable et acceptable. C’est pour dire que les dégâts sont énormes parce que pendant les sept dernières années, nous avons créé un immense fardeau pour l’économie tunisienne, le contribuable et le citoyen tunisien.
D’où vient ce problème de la dette publique ? En termes de structure nous étions à près d’un tiers de dette locale et deux tiers de dette extérieure. Aujourd’hui, la dette extérieure atteint plus de 70%, parce que l’Etat a quasiment épuisé ses possibilités d’endettement sur le marché local qui est extrêmement limité, sachant que la planche à billets est en train de fonctionner à fond.
Cette situation est inquiétante parce que l’Etat n’a aucune emprise sur les devises. Il est vrai qu’à travers la politique monétaire et l’intervention de la BCT, l’État peut jouer sur le côté dette publique locale en créant de la monnaie et en augmentant la masse monétaire. Mais ceci aussi a des limites, qui sont déjà atteintes à mon avis.
Alors d’où vient ce problème de la dette ? Je crois qu’il y a six canaux à prendre en compte :
– Le premier canal, et le plus important à mon avis, provient du déséquilibre énorme entre la croissance économique et l’augmentation des dépenses de l’Etat.
La Tunisie n’a pas fait de croissance significative depuis 2011. La croissance réalisée en 2012, 2013 et 2014, a été de la croissance fictive parce qu’elle était générée essentiellement par les augmentations des salaires et des recrutements massifs dans la fonction publique. Une telle croissance est non-productive de richesses et d’emplois réels.
De fait, globalement de 2011 à ce jour, on est presque à une croissance proche de zéro. En même temps, les dépenses de l’Etat ont augmenté à un rythme moyen de 10% par an avec un pic, en 2017, de 17,2%. On s’attend également à une augmentation à un rythme accéléré des dépenses publiques en 2018. La différence ne peut provenir que de la dette.
– Le deuxième canal est celui de la balance commerciale. Nous avons connu pendant ces dernières années, notamment en 2016 et 2017, une balance commerciale avec un niveau de déficit sans précédent dans l’histoire de la Tunisie. En 2017, on avait terminé l’année avec 15,6 milliards de dinars de déficit de la balance commerciale et plus de 10% de déficit de la balance des paiements courants, dépassant pour la première fois en Tunisie les deux chiffres. Alors que selon la norme mondiale, lorsque le déficit courant atteint les 3% du PIB, cela constitue déjà un voyant rouge qui s’allume pour dire que l’économie va mal et qu’il faut absolument intervenir et réparer ce qui n’a pas bien fonctionné. Pis encore, quand on atteint plus de 10%, c’est la porte grande ouverte sur l’endettement extérieur excessif.
– Le troisième canal consiste en l’ensemble des fondamentaux de l’économie tunisienne qui se sont détériorés impactant gravement la valeur de la monnaie nationale. Il faudrait rappeler que la monnaie nationale n’est que le miroir qui reflète ce qui se passe au niveau de l’économie réelle et des finances.
La situation de l’économie s’est tellement détériorée que le dinar a perdu plus de 60% de sa valeur depuis 2011. Cela se traduit par un gonflement de la dette exprimée en dinars par rapport au PIB et un gonflement très important du service de la dette (principal et intérêts payables chaque année).
– La détérioration de la situation économique et financière a également engendré une augmentation significative du coût de la dette, et notamment sa composante extérieure.
– J’ajouterais que pendant cette période nous avons connu beaucoup d’instabilité sociale, trop de grèves et de revendications. Nous avions ainsi accordé des augmentations de salaires qui n’étaient pas justifiées par la croissance économique.
Cela se traduit par l’inflation qui détériore la valeur du dinar. Par conséquent, la dette augmente parce qu’on n’a pas de croissance. Pour autant les dépenses de l’Etat augmentent notamment au niveau de la masse salariale de la fonction publique, posant aujourd’hui un grave problème vis-à-vis de nos relations avec le FMI et le reste des institutions financières.
– Nous avons eu, aussi, un grave problème au niveau des caisses sociales. La situation de ces caisses s’est détériorée énormément et l’Etat s’est trouvé obligé d’injecter des fonds provenant de son budget pour pouvoir maintenir ces caisses sociales en état de fonctionnement.
La question de la soutenabilité de la dette est très importante. Aujourd’hui la Tunisie a besoin de mobiliser des crédits en quantité importante, sachant que la loi de finances 2018 prévoit 9,5 milliards de dinars de crédits nouveaux. Et la question qui se pose : où va-t-on les trouver, surtout que la Tunisie n’a quasiment plus accès au marché financier international ?
Et pour preuve, nous étions sortis sur le marché financier international en avril 2017 pour lever 1 milliard d’Euros mais nous n’avions pu ramasser, difficilement, que 850 millions d’Euros à un coût extrêmement élevé. Il s’agit d’un très mauvais signal pour le marché.
Rappelons, aussi, que pour cette année, l’ARP a autorisé le gouvernement tunisien à sortir sur le marché international pendant la deuxième moitié du mois de mars pour lever des fonds à hauteur de 1 milliard de dollars. Mais la Tunisie n’a pas pu sortir sur le marché et elle ne devrait pas le faire avec les fondamentaux actuels.
Moralité : nous nous sommes trouvés obligés d’aller vers le prêteur de dernier recours, le FMI. Mais le FMI n’est pas une institution financière ordinaire, il fait partie de l’ONU et c’est l’organisme qui aide les pays qui passent par des difficultés économiques et financières aiguës en contrepartie de réformes sur lesquelles doit s’engager l’Etat emprunteur.
Pour le cas de la Tunisie, l’engagement pris n’a pas été entièrement honoré. Il y a de ce fait un risque de ne pas obtenir le déblocage des tranches qui restent. La Tunisie risque même d’aboutir à une situation d’impasse.
S’agissant des réserves de change, la Tunisie est aujourd’hui à l’équivalent de 76 jours d’importation. Ce niveau est inquiétant, pour des raisons objectives. Sachant que dans le monde entier, on considère que 90 jours d’importation est une ligne rouge parce que tout pays qui passe par des difficultés économiques et financières va naturellement donner la priorité à ses importations de produits alimentaires, de médicaments et d’énergie. Ces trois rubriques nécessitent l’équivalent de 90 jours d’importation.
Donc, en dessous de cette ligne, le marché interprète la situation d’une manière objective : le pays n’est plus en mesure de rembourser normalement sa dette extérieure et donc de continuer à emprunter.
En effet, je pense que nous sommes proches d’un point de non-soutenabilité de la dette publique et notamment la dette extérieure de la Tunisie. Quels en sont les risques ? Evidemment, s’il nous arrivait de ne pas pouvoir faire face à une échéance de la dette extérieure, nous serions dans l’obligation de passer par le rééchelonnement de la dette extérieure.
Or la Tunisie se doit de continuer d’être à la hauteur de sa traditionnelle réputation de pays qui honore sa dette sans aucun retard. Il s’agit là d’un acquis précieux qu’il faut préserver à tout prix. Hélas certains partis politiques et certains politiciens proposent / demandent le rééchelonnement de la dette. Je pense qu’ils ne saisissent pas véritablement l’enjeu. Cet acquis est extrêmement important. Il ne nous appartient pas à nous seuls. Il appartient aussi aux générations futures. Pour cette raison, nous n’avons pas le droit de le gaspiller. La perte de cette réputation rendrait tout endettement extérieur de la Tunisie très cher et réduirait sensiblement les chances de sauvetage ou de redressement de notre économie.
Jusqu’où la chute du dinar ? Cette chute peut-elle profiter à la relance des exportations alors qu’on sait qu’elle renchérit les importations, surtout, des matières premières ?
Nous vivons aujourd’hui une équation difficile. Quelle que soit la mesure adoptée pour ajuster la valeur du dinar, celle-ci peut avoir quelques aspects positifs mais aussi des aspects négatifs importants. Ce que nous constatons, malheureusement, c’est que la chute de la valeur du dinar n’a pas profité à la balance commerciale de la Tunisie. Elle n’a pas permis de relancer les exportations et de freiner les importations.
D’où le déficit record de la balance commerciale enregistré en 2017, qui continue de s’aggraver en 2018 contrairement à ce qui est annoncé. L’amélioration du déficit commercial pendant les quatre premiers mois de 2018 est très marginale, soit de l’ordre de 80 millions de dinars. Cette amélioration s’explique en effet par un phénomène exceptionnel, celui des exportations d’huile d’olive et de dattes. Donc, on ne peut pas établir la comparaison entre 2017 et 2018 sans prendre ce phénomène en considération.
Si on exclut l’effet huile d’olives-dattes, le déficit de la balance commerciale se serait aggravé sensiblement.
Défendre le Dinar veut dire que la BCT intervient sur le marché des changes en vendant des devises. Il faut donc consentir une diminution des réserves de change.
Cela aboutit à freiner le glissement du Dinar. Mais il faut rappeler que la BCT n’a plus que l’équivalent de 76 jours d’importation à sa disposition pour pouvoir faire face aux importations des produits alimentaires, de médicaments et d’énergie. Les interventions sur le marché des changes deviennent ainsi quasiment impossibles.
Il y a à peu près un mois, le gouverneur de la BCT avait déclaré que la Tunisie n’avait plus les moyens de défendre sa monnaie sur le marché des changes. Il aurait pu décider de ne pas intervenir sans l’annoncer parce que le fait de l’annoncer aboutit à une forme d’anticipation sur la baisse future du dinar. Et le dinar de poursuivre sa chute, mais jusqu’où ?
Pendant l’été 2017, en faisant une analyse de la situation, j’étais arrivé à la conclusion que si l’on n’engageait pas les réformes nécessaires l’Euro se situerait entre 3,2 et 3,3 Dinars vers la fin de l’été de 2018. En outre la BCT risque de ne plus être en mesure de défendre le dinar et qu’elle se trouverait dans l’obligation de le laisser flotter.
Le flottement du dinar est une situation grave et la dépréciation peut se faire à un rythme qui peut être beaucoup plus rapide que ce qu’on a observé jusque-là. L’exemple de l’Egypte mérite d’être étudié et observé pour éviter ce genre de conséquence.
Dans ce sens, la Banque centrale égyptienne était à peu près dans la même situation que la nôtre et n’avait plus les moyens de défendre la livre égyptienne. Elle a finalement décidé de laisser flotter sa monnaie locale et le coût de la dépréciation était absolument effrayant puisque le dollar valait 8 livres égyptiennes avant le flottement pour atteindre 21 livres égyptiennes aujourd’hui.
Une situation pareille est très dangereuse pour la Tunisie, parce qu’une dépréciation importante du dinar aboutirait à un affaiblissement de plus du pouvoir d’achat du citoyen tunisien à cause d’une inflation importée massive. Une telle situation rendrait en outre l’investissement beaucoup plus cher. Cela aboutirait aussi à gonfler davantage la dette publique et l’effort qui doit être fait par le budget de l’Etat pour faire face au remboursement du principal et des intérêts au titre de l’année. En outre, une monnaie qui n’est pas stable, n’encourage pas l’investisseur étranger à investir en Tunisie avec un risque important de dépréciation de ses actifs.
Il faut donc tout faire pour que la Tunisie n’arrive pas à une situation de flottement de sa monnaie, parce qu’elle ne pourrait pas y faire face.