Juriste de formation, lecteur assidu, il est originaire de Bousalem (Gouvernorat de Jendouba) et est âgé de 25 ans. Il s’agit de l’écrivain Dhia Bousselmi. Dhia Bousselmi porte à bout de bras un projet unique : traduire les œuvres littéraires en dialecte tunisien. Notre invité a traduit deux œuvres incontournables de la littérature tunisienne et de la littérature française en dialecte tunisien: « L’Etranger » d’Albert Camus et les mémoires du poète tunisien Aboulkacem Chebbi. Retour sur une prouesse littéraire.
Si les puristes opposent la langue arabe soutenue au dialecte tunisien, Dhia Bousselmi voit les choses autrement. Pour lui, traduire en dialecte tunisien revient à vulgariser les œuvres auprès d’un large public. Ce projet a vu le jour suite à un constat fait par l’écrivain. «Les traductions arabes existantes des œuvres littéraires et philosophiques sont bel et bien compliquées et ne se prêtent pas facilement à la lecture». Nous confie-t-il. Pour lui, il s’agit de traductions plus difficiles voire inaccessibles que le texte original. Et cela se pose surtout avec les textes philosophiques.
Traduire les œuvres en dialecte tunisien s’inscrit dans une perspective de vulgarisation du savoir et des connaissances livresques. «Je me suis dis pourquoi ne pas vulgariser les œuvres et les conférences philosophiques en les traduisant en dialecte tunisien». Se rappelle-t-il. Cependant, l’idée s’est soldée par le refus d’un certain nombre de sites électroniques tunisiens qui n’ont pas voulu de la publication des extraits de la traduction en dialecte tunisien de L’Etranger d’Albert Camus. De plus, le site arabophone “El Hiwar el Moutamaden” a accepté de publier les extraits. Ces derniers qui ont fini par connaître un franc succès auprès de ses visiteurs. Et s’ajoute à cela que le débat a été alimenté sur la traduction des œuvres littéraires en dialecte tunisien. Cela a encouragé Dhia à avancer dans son projet.
Puis lui est venue l’idée de traduire les mémoires de Aboulkacem Chebbi, qui seront disponibles dans les bibliothèques. Deux semaines après l’Aïd. «Je me suis dis que ce poète tunisien parlait le dialecte tunisien dans son quotidien. Et que ces mémoires sont traduisibles», dit-il. Dhia Bousselmi est bel et bien conscient de l’ampleur de son travail. Il ne cesse de subir les attaques et les insultes des puristes. «Certains parlent de la désacralisation de la langue arabe. Ceux qui prônent ce point de vue considèrent que la langue arabe est intimement liée au sacré étant donné que la langue arabe est celle du Coran» explique-t-il. Et de continuer: «En ce qui me concerne, la langue arabe et le dialecte tunisien peuvent coexister. On peut lire Camus en Français, en arabe littéraire et en dialecte tunisien, sans que cela ne crée un souci». D’ailleurs, l’écrivain, grâce à sa traduction de L’Etranger en dialecte tunisien a obtenu le prix de Fondation Rambourg pour l’Art et la Culture. Et ce, dans sa deuxième édition (juin 2018), catégorie écriture littéraire. A savoir, 20 mille dinars.
Dhia Bousselmi prône une réconciliation entre la langue arabe et le dialecte tunisien
Notons que la langue arabe existe depuis des siècles et le dialecte tunisien ne pourra pas lui faire ombrage estime notre interlocuteur. Cependant, notre interlocuteur ne prône pas l’existence d’une langue tunisienne. Mais reconnaît uniquement l’existence du dialecte tunisien. «Car une langue a besoin d’un ensemble de règles: syntaxe, grammaire et autres. Ce qui n’est pas le cas du dialecte tunisien». Argumente-t-il. En effet, l’existence de la langue tunisienne demeure tributaire d’une production littéraire abondante, en dialecte tunisien. Et de l’existence d’un dictionnaire de la langue tunisienne.
Interpellé sur la réception de son travail, puisque la traduction des mémoires d’Aboulkacem Chebbi sera disponible prochainement et L’Etranger sera disponible dans trois mois. Dhia Bousselmi affirme que son travail sera accueilli par une critique virulente et des insultes. Cette question lui a rappelé une anecdote littéraire historique. «En 1958, le romancier Tunisien Béchir Khraief a publié une nouvelle dans le Magazine Tunisien Al-Fiker. Dans cette nouvelle, le romancier a utilisé plusieurs mots en dialecte tunisien. Ce qui a créé une polémique et un refus de l’utilisation du dialecte tunisien dans le monde littéraire. Je m’attends à la même critique et au même argument défavorable au dialecte tunisien», explique-t-il. Avant de regretter que les mêmes arguments persistent depuis 1958. Sans se soucier des accusations des puristes, Dhia Bousselmi continue son travail. D’ailleurs, il est en plein travail pour traduire en dialecte tunisien Le Petit Prince d’Antoine de Saint-Exupéry. Ainsi qu’Histoire d’œil de Georges Bataille.