Ce qui se passe actuellement sur la scène politique déroute plus d’un et la myopie dont sont victimes certains observateurs et commentateurs nous interpelle. Il y a tellement d’écrans de fumée, de mises en scène, de stéréotypes et de non-dits qui leurrent les Tunisiens, les empêchent de comprendre ce qui se trame pour discerner à quelle sauce ils seront mangés.
En fait, ce qui est visible à l’œil nu n’est que le reflet embrouillé de tout ce qui est immergé. Il est donc indispensable de risquer une prudente tentative pour aller au-delà de ce qui est apparent, faire voler en éclats les mystifications dont nous sommes victimes et écarter les représentations trop évidentes, rebattues sciemment par les uns et les autres.
On peut, à la rigueur, tolérer l’inanité des combats politiques dans une situation normale où tous les fondamentaux d’un pays sont stabilisés et fonctionnent régulièrement. Mais, endurer durant huit années consécutives toutes les formes de manquements et de démesures, de la part de gouvernants aussi incompétents qu’aventureux, est vraiment insoutenable. Les bouleversements, aux caractéristiques variées, par lesquels la société tunisienne passe ne sont pas maîtrisés même imparfaitement.
Ceux qui tiennent les commandes font du surplace dans une zone de turbulence où un nouvel équilibre n’est pas encore trouvé et l’ancien n’est déjà plus. Seulement, il est inadmissible et impardonnable que les apprentis politiques fassent passer leurs ambitions dévorantes pour asseoir le pouvoir de leur coterie avant l’intérêt du pays. Leur pratique du pouvoir et de la lutte pour sa possession, auxquelles nous assistons, est sans panache ni grandeur. Que devons-nous penser d’une nation dont les citoyens méconnaissent le pilotage des événements et l’ampleur des erreurs de navigation de ceux qui détiennent les commandes ?
Tout d’abord, il est utile de démonter le mécanisme d’une véritable supercherie qui est à l’origine du grand malentendu né en 2014, cause originelle d’un processus faussé dès le départ. Le chef de l’Etat actuel, nous dit-on, serait « un bourguibiste pur jus », « un héritier du bourguibisme », on en passe et des meilleures. Il s’était présenté aux électrices et électeurs comme le continuateur de l’œuvre de Habib Bourguiba.
L’ascension de Béji Caïd Essebsi aux plus hautes fonctions de l’Etat, tant convoitée durant des années, s’est finalement réalisée grâce au vote utile. Nombreux sont ceux qui soulignent avec désillusion, après quatre ans passées de son mandat, que leur attente était qu’il soit le président de la République de tous les Tunisiens, non pas celui d’une caste qui ne vivote encore que dans un esprit formaté aux débuts du 20ème siècle, du temps du beylicat. Il semble qu’il n’a pas su, ni voulu se détacher de ce passé clanique et de ses références désuètes en tentant par tous les moyens de prendre une revanche sur les années Bourguiba. Le pouvoir ne s’acquiert pas en héritage. Est-ce bien raisonnable de vouloir établir contre tout bon sens une « alternance de type dynastique » qui ouvrirait toute grande la porte de toutes les incertitudes ?
Le véritable homme d’Etat ne peut pas se permettre de passer seulement par un aréopage de conseillers ou par les membres de sa propre famille pour essayer de fonder une dynastie dans cette République qui aspire à un sort bien meilleur. En clair, il doit se montrer exemplaire et servir de « bouclier moral » à l’ensemble de la classe politique. Il existe une solution simple pour démêler l’écheveau qui nous enserre, couper court à tous les procès d’intention et sortir par la grande porte : qu’il s’engage solennellement à ne faire qu’un seul mandat à la tête de l’État, à ne pas chercher à reporter les élections de 2019, à prier son fils de se ranger loin de la politique et ses errements, à nettoyer les écuries d’Augias en assainissant sans recourir aux règlements de comptes politiques, à prendre ses distances avec les islamistes. Ces derniers tirent profit de toutes les erreurs commises et des sources de vulnérabilité offertes par leurs adversaires, c’est une aubaine qui leur permet de poursuivre leur travail de sape de la société tunisienne et des soubassements de l’Etat jusqu’au jour où ils feront basculer toute la Tunisie cinq siècles en arrière. Bref, il s’agit, dans l’urgence, de recomposer la gouvernance en impulsant une dynamique de salut public, sans arrière- pensées politiciennes.
A coup sûr, un tel geste retentissant, dans un contexte de défiance généralisée, serait la marque d’un chef d’État qui rattrape les erreurs passées aux yeux du tribunal de l’histoire et se réconcilie avec ceux qui l’avaient élu pour se retirer, en 2019, la conscience apaisée. Tous les prémices d’une grogne populaire sont réunies dans une zone de turbulence de tous les dangers car les mois à venir risquent d’être tumultueux. S’il n’y a pas de pilote dans l’avion Tunisie, le crash sera inévitable.