Depuis la Révolution, la vie politique tunisienne est rythmée par des rumeurs d’ingérence étrangère.
Les premières élections libres furent marquées par le soupçon qui a pesé sur le parti Ennahda d’être en grande partie financé par le Qatar. Dans un autre registre, suite à l’assassinat de l’opposant Chokri Belaïd (février 2013), l’ambassadeur de France à Tunis, François Gouyette, avait été convoqué par le premier ministre Hamadi Jebali, à cause des commentaires de Manuel Valls, le ministre de l’Intérieur français, à propos d’un «fascisme islamique» qui sévirait en Tunisie.
Toujours dans un autre registre, ces derniers jours, l’ambassadeur des Emirats arabes unis en Tunisie, Salem Issa Alkattam Alzaabi, a dû démentir les rumeurs portant sur l’éventuelle implication de son pays dans un projet de complot contre le pouvoir tunisien en place.
Celui-ci constituerait la cause réelle du limogeage de l’ancien ministre de l’Intérieur Lotfi Brahem, qui a démenti avoir fomenté une tentative de coup d’Etat avec le soutien des services secrets des Emirats arabes unis…
La gravité d’une telle rumeur nous amène à la prendre avec toutes les précautions d’usage. Il n’empêche, les autorités tunisiennes semblent la prendre au sérieux, dans un contexte où le pays est particulièrement fébrile eu égard à sa situation politique, économique et sociale.
Une telle hypothèse, si elle devait se vérifier, constituerait un acte manifeste d’ «ingérence» dans les affaires tuniso-tunisiennes. Le mot est connu, mais quel sens revêt-il vraiment?
La souveraineté est une liberté, un champ d’action et de décision dans lequel les autres États n’ont pas le droit de s’immiscer. C’est pourquoi, nul État ne saurait s’immiscer dans les affaires intérieures d’un autre État.
Une résolution de l’Assemblée générale des Nations unies a souligné «le droit inaliénable [de tout État] de choisir son système politique, économique, social et culturel sans aucune forme d’ingérence de la part d’un autre État » (Résolution 2625 du 24 octobre 1970).
L’interdiction de l’ingérence, fondée sur la souveraineté de chaque État, a aussi partie liée avec le principe du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, lui aussi reconnu par le droit international sans que sa teneur ni sa portée soient précisément déterminées.
En outre, il est souvent délicat de déterminer avec précision les comportements qui relèvent de l’intervention illégale. Certes, il est clair qu’une simple déclaration politique (de la part d’un représentant d’un autre État) n’est pas interdite : le critère d’une ingérence prohibée réside a priori dans l’exercice d’une contrainte matérielle.
Toutefois, si cet élément de contrainte, «est particulièrement évident dans le cas d’une intervention utilisant la force, soit sous la forme directe d’une action militaire, soit sous celle, indirecte, du soutien à des activités armées subversives ou terroristes à l’intérieur d’un autre État», en revanche, «la fourniture d’une aide strictement humanitaire à des personnes ou à des forces se trouvant dans un autre pays, quels que soient leurs affiliations politiques ou leurs objectifs, ne saurait être considérée comme une intervention illicite ou à tout autre point de vue contraire au droit international» (CIJ, affaire des activités militaires et paramilitaires au Nicaragua, arrêt du 27 juin 1986).
Il existe des situations plus équivoques. Ainsi en est-il lorsque par exemple, le Fonds Monétaire International (FMI), dans ses négociations avec la Tunisie, a conditionné sa dernière ligne de crédit de 2,4 milliards d’euros sur quatre ans à la lutte gouvernementale contre le déficit public. La Tunisie était libre de refuser les conditions de l’accord, au nom de sa souveraineté formelle. Mais avait-elle vraiment le choix? L’acceptation de ces conditions a finalement contribué à la grande crise sociale et politique qui a ouvert l’année 2018…
[raside number= »3″ tag= »Lotfi Brahem « ]