«Développement des produits dérivés en Tunisie : préalables réglementaires et techniques», tel est le thème du séminaire organisé ce matin par la Banque centrale de Tunisie (BCT), l’Association professionnelle tunisienne des banques et des établissements financiers (APTBEF) et le Forex Club de Tunisie, avec le soutien technique de l’ISDA, la BERD et le cabinet d’avocats international Mayer Brown; et ce, en présence de Marouane El Abassi, gouverneur de la BCT, Ahmed El Karm, président de l’APTBEF, Béchir Trabelsi, président de Forex Club de Tunisie, ainsi que des professionnels du secteur bancaire, des entreprises publiques et privées et des experts juristes nationaux et internationaux.
Cette manifestation a été l’occasion d’exposer l’intérêt économique de la couverture contre les risques liés à la volatilité des prix du marché, notamment les prix des matières premières agricoles et pétrolières.
Elle a été, également, l’occasion de montrer l’intérêt des produits dérivés en tant qu’instrument de couverture contre ces risques, du pourquoi de la documentation ISDA pour les instruments de couverture de gré à gré, ainsi que des meilleures pratiques de marché et du cadre légal et réglementaire nécessaires à une documentation normalisée.
Dans son allocution d’ouverture, Marouene El Abassi a affirmé que ce séminaire vise à mettre à nouveau l’accent sur l’importance de la couverture contre les risques de marché pour les opérateurs économiques tunisiens. Cette couverture est, selon ses dires, importante parce que les prix de marché sont volatiles. « Cette volatilité est une source de risque lorsque le prix va dans un sens défavorable. Les prix de marché au comptant ne sont pas prévisibles. Par ailleurs, laisser l’activité économique exposée aux aléas du marché, c’est laisser le hasard décider de la performance ou de la rentabilité de l’activité, c’est donc exposer cette activité à un risque. Citons l’exemple du prix du pétrole, du prix des céréales, des taux d’intérêt… « , a-t-il précisé. Et d’ajouter que « ces risques de marché peuvent être couverts par des instruments appropriés dont les produits dérivés ».
Marouane El Abassi a indiqué que ce séminaire vise à répondre à des soucis d’origine internationale, et ce, parce qu’il a été constaté que les institutions financières tunisiennes ont des difficultés dans leurs relations contractuelles sur les produits dérivés avec les institutions financières étrangères, depuis l’évolution de la réglementation internationale post-crise qui a mis un accent particulier sur les questions de conformité avec risque d’interruption des opérations et annulation des limites.
Toutefois, il a annoncé que les produits dérivés au niveau international sont traités dans un cadre particulier, notamment une documentation spécifique mise en place par l’ISDA, qui a évolué sur les 30 dernières années au vu des nouveaux instruments créés et des leçons apprises à travers les crises financières passées. Cette documentation, issue de la profession, qui garantit les droits et obligations des contractants, est devenue, selon le gouverneur, la documentation de référence, reconnue par les régulateurs de plusieurs pays.
« Les dispositions de cette documentation ont pour objectif de garantir la sécurité des contractants et la célérité de la compensation en cas de faillite d’un des contractants. Or, ces dispositions peuvent entrer en conflit avec celles des lois nationales et leur force exécutoire n’est donc pas garantie « , a-t-il estimé.
Et de souligner que « cela amène les contreparties étrangères à ne pas s’engager sur les produits dérivés dans un pays où la loi locale n’est pas compatible avec les dispositions de la documentation ISDA. C’est le cas de la Tunisie, en raison de dispositions juridiques qui empêchent la force exécutoire de plusieurs des principales dispositions de l’accord ISDA, à l’instar de la compensation avec déchéance du terme « .
Produits dérivés : pour un processus de modernisation et d’adoption des meilleures pratiques internationales
Pour cette raison, la BCT n’a cessé durant ces dernières années de mettre l’accent sur la nécessité de la couverture. Mais la hausse des prix des matières premières et des taux d’intérêt ces derniers mois qui pèsent lourdement sur le budget de l’Etat ravivent le besoin pour la place de reposer la question de la gestion des risques de marché pour les entreprises publiques et privées.
Pour ce faire, le responsable a mentionné que la BCT optera, en collaboration avec les parties concernées, pour un processus de modernisation et d’adoption des meilleures pratiques des pairs, augmentant ainsi l’attractivité de la place de Tunis, tout en proposant un projet visant à autoriser, dans les mois à venir, l’utilisation des instruments de couverture des risques de change et de taux d’intérêt à long terme et les instruments de couverture contre les fluctuations des prix des matières premières, un avant-projet de loi pour lever les ambiguïtés de la loi tunisienne, un avant-projet de documentation juridique encadrant les transactions sur les produits dérivés sur le marché local et des réformes juridiques nécessaires pour rendre l’écosystème financier tunisien conforme aux normes internationales.
Dans l’immédiat, le gouverneur a affirmé qu’il importe de lancer une dynamique de réflexion et une proposition sur le plan juridique et législatif qui englobe tous les acteurs… La BCT aura fait le premier pas par ces avant-projets de loi, qui sera suivi par la procédure d’usage.
Ensuite, ce sera à la BCT et aux professionnels financiers tunisiens d’imaginer la meilleure architecture en termes de structure, de fonctionnement et de sécurité du marché et de proposer les mesures réglementaires nécessaires pour mener le marché financier progressivement vers plus de professionnalisme et de compatibilité avec les normes et les meilleures pratiques internationales.
Quels sont les avantages des produits dérivés
De son côté, Ahmed El Karm est revenu sur les avantages qu’apportent les produits dérivés à la Tunisie. « Les produits dérivés constitue un réducteur de risques. Quand on sait que l’entreprise tunisienne peine aujourd’hui à assurer la production et à surmonter les contraintes, on ne veut pas qu’elle supporte en plus des risques attachés aux taux d’intérêt et change et aux effets climatologiques… D’où il faudrait qu’il y ait des experts et des produits chevronnés pour pouvoir la débarrasser de ces risques pour assurer la promotion des produits dérivés ».
De ce fait, un système efficace des produits dérivés est sécurisant car il va permettre aux entreprises d’augmenter la production et développer les échanges.
Ainsi, il a précisé que les produits dérivés constituent une possibilité très importante pour développer des affaires. Ils sont un levier financier évident permettant de générer et traiter des capitaux énormes. « Si on a des secteurs d’activités nouveaux qui s’ouvrent aux banques, ils diversifient leur marge et leur PNB et permettent de remplacer certaines activités qui de par leur nature sont destinées à s’étioler parce qu’elles ne sont plus en adéquation avec les nouvelles contraintes des marchés ».
M. El Karm a ajouté que les produits dérivés comportent, en leur sein, une sorte d’acceptation de la spéculation dans le sens économique. Cette spéculation est un facteur indispensable pour dynamiser et développer les marchés, mais elle introduit également des effets pervers très dangereux.
Par ailleurs, « si on ne maîtrise pas convenablement les produits dérivés, ils deviennent une source de risque systémique qui est très grave pour la stabilité de l’économie nationale.
Pour ce faire, il a préconisé de cadrer cette activité dans le sens où l’on définit les métiers convenablement, met en place les dispositions et les éléments nécessaires et l’on assure la création des instruments de couverture des risques.
Dans ce sens, la Tunisie compte énormément sur l’ISDA, afin d’installer une dynamique de relance du secteur et de mettre en œuvre de nouvelles bases conformes aux standards internationaux et aux règles pratiquées dans les marchés les plus évolués.
Il a préconisé ainsi le développement des produits dérivés pour mobiliser les capitaux extérieurs et asseoir des instruments de couverture des risques de marché, tout en menant des cycles de formation destinés à tous les jeunes cadres et à tous ceux qui s’occupent de la gestion de ces produits et autres, une stratégie de libéralisation des transactions avec les marchés étrangers et le contrôle de change et de libéralisation des règles qui handicapent actuellement le bon fonctionnement du marché des changes et des produits dérivés, ainsi qu’un rapprochement des réglementations et des procédures avec l’étranger.
Au final, Ahmed El Karm a conclu qu’à travers une telle dynamique, la Tunisie peut développer les produits dérivés pour qu’ils soient bénéfiques aux exportateurs tunisiens, au système bancaire en particulier et à l’économie en général.
A noter qu’à l’issue de ce séminaire, un plan d’action sera arrêté ayant pour objectif d’identifier les axes de travail et des stratégies spécifiques, dans le but de créer un cadre tunisien pour les produits dérivés normalisé et comptable avec le référentiel international et aider les banques tunisiennes à mettre en place une documentation domestique structurée et des accords ISDA transfrontaliers adaptés.
Un mémorandum d’accord visant le développement des produits dérivés
En marge de ce séminaire, un mémorandum d’accord a été signé par la BCT, le Forex Club de Tunisie et l’APTBEF reconnaissant l’importance du développement du marché des capitaux, de la liquidité interbancaire et de l’utilisation des produits dérivés en Tunisie et s’engageant à coopérer pour le développement de ces marchés et l’adoption des meilleures pratiques des pairs et à surveiller la progression du développement et l’exécution des étapes concrètes vers la mise en œuvre de ce nouveau cadre.
A cet effet, un comité de pilotage représentant les trois parties sera créé pour planifier la coopération et suivre ses progrès. Le rôle de ce comité sera double. Il s’agit d’abord de superviser les progrès de la mise en œuvre du mémorandum et d’œuvrer ensuite à favoriser sa mise en œuvre auprès des particuliers, y compris l’attribution de rôles, de responsabilités et de mesures d’action à court et à moyen termes.