L’intensification depuis 2011 des flux migratoires clandestins vers l’Europe a provoqué une onde de choc politique dans les pays du vieux continent.
L’impréparation des Etats et des sociétés européennes a donné l’impression aux populations de subir un phénomène qui les dépassait. Un sentiment «d’invasion» qui a nourri la montée des populismes en général et de l’extrême droite en particulier.
Toutefois, plutôt que de considérer que la crise migratoire fragilise les démocraties européennes, celle-ci en réalité, n’a fait que révéler la crise politique de l’Europe.
Non seulement celle-ci est incapable de parler et d’agir d’une seule voix, mais les réponses qui tendent à s’imposer sont en contradictions avec les valeurs profondes du vieux continent.
Les sommets européens se suivent et se ressemblent, avec la même conclusion : les divergences et tensions opposent les Etats et les institutions de l’Union européenne sur le dossier migratoire. Une incapacité qui relève de l’irresponsabilité.
En atteste l’épisode du navire de l’Aquarius : non seulement l’Italie et Malte ont refusé l’accès à leurs ports, mais on a assisté à un jeu des hypocrisies étatiques contraire à leurs obligations juridiques et indigne de leurs valeurs dont ils se réclament officiellement : le devoir des Etats européens de porter assistance aux personnes en détresse en mer – en leur offrant un lieu sûr dans des délais raisonnables – découle directement du droit international de la mer et de la Convention de Genève.
Si la position de la France a symbolisé ce jeu de dupe, le geste humanitaire du gouvernement espagnol a sauvé in extremis l’honneur de l’Europe en ouvrant son port de Valence…
L’onde de choc populiste ou national-identitaire qui a amené Donald Trump à la Maison Blanche traverse également le Vieux continent de la Pologne à l’Italie.
Si cette défaillance nourrit les replis et populismes nationaux, les réponses de nature essentiellement technocratiques – il n’existe pas de « boite à outils » magique – ne sont pas à la hauteur des enjeux foncièrement politiques et axiologiques.
Car dans cette « crise migratoire » cristallisée autour du bassin méditerranéen, c’est aussi le sens du projet européen qui se perd, c’est le doute d’un destin commun qui s’instille plus que jamais.
L’Europe s’est transformée en forteresse repliée sur elle-même, qui tourne le dos à ses valeurs fondatrices, celles-là même qui lui ont permis de recevoir le prix Nobel de la Paix (en 2012).
Derrière cette interrogation de fond, c’est la question de l’identité européenne qui se pose avec force. Celle-ci doit se libérer des passions tristes renouant avec le mythologie sur la pureté des origines – civilisationnelles, ethniques, religieuses, etc. – pour mieux renouer avec son essence humaniste et cosmopolite, conforme aux fondements axiologiques de la construction européenne rappelés en ces termes par l’article 2 du traité UE : «L’Union est fondée sur les valeurs de respect de la dignité humaine, de liberté, de démocratie, d’égalité, de l’État de droit, ainsi que de respect des droits de l’homme, y compris des droits des personnes appartenant à des minorités. Ces valeurs sont communes aux États membres dans une société caractérisée par le pluralisme, la non-discrimination, la tolérance, la justice, la solidarité et l’égalité entre les femmes et les hommes. ».
Partant, tout accord ou dispositif européen tendant à repenser le règlement de Dublin, ou à instituer un droit d’asile européen, devra porter la marque de ce socle de valeurs.
Dans le cas contraire, c’est l’idéal européen qui s’en trouvera dénaturé.
En attendant, l’incapacité des Etats européens, à apporter une réponse commune à la hauteur des valeurs censées incarner leur projet politique, trahit leur inconsistance. Celle-ci se traduit par la prévalence de choix guidés par des considérations égoïstes et court-termistes qui s’avèrent contre-productives et relativement inefficaces…