Il y a des choses inhabituelles qui se passent aujourd’hui sur la scène internationale en rapport avec les crises du Moyen-Orient. Il y a juste deux ou trois semaines, les Etats-Unis ont mis en garde Bachar al Assad d’envoyer ses troupes du côté de la frontière syro-jordanienne pour libérer Deraa des mains des terroristes de Jabhat Annusra, sous peine de réaction militaire américaine.
Faisant un virage à 180°, Washington a envoyé il y a deux ou trois jours un message aux groupes armés leur indiquant qu’ils ne devraient pas compter sur une intervention militaire américaine à leurs côtés. Et de fait, l’armée syrienne, avec l’aide de l’aviation russe, a déjà libéré une bonne partie de la région de Deraa sans que les Américains n’y trouvent à redire.
Il est clair que les Américains, s’étant convaincus que Bachar n’est plus très loin de la victoire finale et que les Russes ne le lâcheront jamais, ont mis de l’eau dans leur vin en acceptant finalement de collaborer avec les Russes en Syrie, chose que Moscou n’a pas cessé de demander depuis le début de la crise et que Washington s’est obstiné à refuser, préférant de 2012 à 2018 s’aligner sur les groupes terroristes tout en feignant de les combattre.
Un autre signe de rapprochement entre les deux grandes puissances est la visite effectuée à Moscou le mercredi 27 juin 2018 par John Bolton, le conseiller à la sécurité nationale de la Maison-Blanche. Ce faucon viscéralement antirusse s’est réuni avec le président russe avec qui il s’est mis d’accord sur la date et le lieu du sommet qui réunira Trump et Poutine à Helsinki le 16 juillet prochain.
La question qui se pose est pourquoi l’Etat profond qui jusqu’ici a interdit à Obama d’abord et à Trump ensuite de collaborer avec Moscou dans la crise syrienne, a finalement donné son feu vert ? Pourquoi ce même Etat profond qui jusqu’ici s’est opposé avec virulence au désir de Trump, exprimé dans ses promesses électorales, de normaliser les relations avec Moscou, a-t-il subitement accepté l’organisation d’un sommet avec l’homme à abattre qu’était pour lui Poutine jusqu’à une date récente ?
La réponse à ces questions est à chercher du côté de ce que la presse mondiale appelle « l’accord du siècle » que Washington s’apprêterait à rendre public dans les semaines ou les mois à venir. De Jimmy Carter à George W. Bush, de Ronald Reagan à Bill Clinton, les présidents américains nous ont habitués à leurs initiatives de paix et à leurs plans de règlement du conflit israélo-arabe, mais ont tous échoué face l’intransigeance d’Israël. L’intransigeance de Menahem Begin, d’Itzhak Shamir, d’Ariel Sharon, d’Ehud Barak et de Benyamin Netanyahu a eu raison de tous ces présidents dont pas un seul n’a essayé d’être intransigeant ni n’a eu le courage de faire les pressions nécessaires pour faire accepter son plan.
Si l’on en juge par les rumeurs qui circulent sur l’ « accord du siècle » que Trump s’apprête à sortir de son chapeau, l’ambition de l’actuel président dépasse celle de tous ses prédécesseurs. Et ici, plutôt que d’ambition, il faut parler de folie des grandeurs. Car, après 70 ans de violence et de guerres avec Israël, et après l’échec d’une multitude d’accords et de projets d’accord, d’initiatives de paix et de plans de règlement, voici que Trump, avec l’aide de son gendre acquis à 100% aux thèses de la droite israélienne, va résoudre l’un des conflits les plus complexes de l’histoire, pour ne pas dire le plus complexe.
La rumeur est persistante, alimentée par les va-et-vient incessants du gendre présidentiel, Jared Kushner, entre Washington, Riyadh et Tel-Aviv et qui, semble-t-il, est la cheville ouvrière de « l’accord du siècle ». L’idée géniale de ce projet du siècle serait de trouver « une patrie d’échange » pour les Palestiniens en agrandissant Gaza de quelques milliers de kilomètres carrés pris au Sinaï égyptien.
Les manœuvres à ce sujet ont commencé du temps du président islamiste déchu Mohammed Morsi et continuent avec l’actuel président Sissi. Nul ne sait la position réelle des autorités égyptiennes à ce sujet compte tenu de la différence classique dans le monde arabe entre ce qui se dit en public et ce qui se trame derrière les portes closes.
Détail important : le dernier rapport annuel du Département d’État américain sur la situation des droits de l’Homme dans chaque pays du monde, publié en avril, abandonne pour la première fois l’expression « territoires palestiniens occupés », laissant entendre que Trump et son entourage ne considèrent plus une grande partie de la Cisjordanie comme occupée, accréditant l’idée d’une patrie d’échange pour les Palestiniens.
Le brusque changement d’attitude sur le dossier syrien dans le sens désiré par la Russie et le sommet décidé entre Trump et Poutine ne peuvent s’expliquer que dans ce contexte des manœuvres préparatoires de « l’accord du siècle » et la claire intention américaine de le faire adopter par la Russie, désormais puissance incontournable pour tout ce qui se décide au Moyen-Orient.
Et les Palestiniens dans tout ça ? On fait comme s’ils sont les derniers concernés. Après 70 ans d’occupation, de répression, de guerres et de misère, voilà que le président « le plus bizarre de tous les temps » s’active à tout résoudre en commençant par Jérusalem qu’il décrète « capitale éternelle d’Israël »…