«Programme de redressement économique pour la période 2018-2019», tel est l’intitulé du rapport que vient de concocter le Centre international Hédi- Nouira de prospective et d’études sur le développement.
Ce document d’une soixantaine de pages dresse un diagnostic de l’économie du pays, depuis 2011, propose des mesures de court terme permettant de rétablir la confiance, de redresser la situation financière et de l’assainir et esquisse les grandes lignes du futur modèle de développement sur la base d’un cercle vertueux « démocratie-liberté-croissance-développement et bien-être». En voici l’essentiel.
Diagnostic accablant
Le rapport commence par dresser un état des lieux fort négatif de l’évolution de l’économie du pays durant les sept dernières années : marginalisation du dossier économique par les gouvernants, absence de vision et de projet de développement porteur, manque de cohérence et de consistance des programmes et décisions économiques, adoption de politiques économiques qui traduisent selon le rapport «une méconnaissance de la réalité du pays et de ses contraintes (politique «go and stop», relance par la demande intérieure et augmentation sans précédent des dépenses publiques…) et le faible intérêt accordé aux facteurs exportation et investissement et, enfin, adoption de mesures en matière de finances publiques qui dépassent les capacités réelles du pays et n’impactent pas positivement la croissance.
Dans le détail, le rapport cite des indicateurs accablants : une croissance moyenne de 1,5% par an sur la période 2011-2017 ; augmentation du nombre des chômeurs qui atteint les 630 000, soit 15,5% de la population active ; baisse du pouvoir d’achat estimée à 40% et du taux d’investissement de 25 à 19% du PIB ; baisse du taux d’épargne de 21 à 12% ; déficit budgétaire de 5,4% en moyenne sur la période 2011-2017 ; déficit courant de 9% en moyenne durant la même période ; évolution inquiétante de la dette publique dont le taux par rapport au PIB est passé de 41% en 2010 à 70% en 2017 ; grave détérioration de la situation financière des entreprises publiques dont les pertes cumulées ont atteint, fin 2016, 6,5 milliards de dinars ; inflation galopante estimée au mois d’avril 2018 à 7,7% ; dépréciation du dinar de 36% face à l’euro et de 41% face au dollar, traduisant une baisse de la capacité productive du pays ; amplification de l’économie informelle avec les 12 milliards de dinars cash qui s’y échangent (chiffre de 2018) et les risques que l’informel fait courir au pays en matière de blanchiment d’argent et de financement du terrorisme…
Le rapport évoque, également, d’autres revers: l’absence de réaction positive, au cours de cette période ( 2010-2017), aux six dégradations de la notation souveraine de la Tunisie (une dégradation par an), le blacklistage de la Tunisie en tant que paradis fiscal et de pays exposé au blanchiment d’argent et de financement du terrorisme…, le recul de la Tunisie de plusiurs dizaines de points dans les classements internationaux de la Tunisie (Davos, Doing Business…)…
Les prérequis pour une relance de la croissance
Le rapport estime qu’il existe trois variables essentielles qui conditionnent, aujourd’hui, le retour de la croissance en Tunisie.
La première consiste en la capacité du pays à consolider la lutte contre le terrorisme et à tout mettre en oeuvre pour assurer la stabilité sociale, de manière à encourager les Tunisiens à se remettre au travail et booster l’investissement.
La deuxième a trait à la capacité du gouvernement à doter le pays d’une vision et d’une stratégie économique claire et partagée par la plus grande partie des composantes de la population.
La troisième consiste en l’assainissement du climat des affaires et de l’environnement dans lequel les opérateurs économiques sont appelés à opérer, à travers une réelle opération de réconciliation économique, la mobilisation de l’administration et l’ouverture de nouvelles perspectives pour les jeunes, notamment les diplômés du supérieur.
Globalement, le rapport estime que ces trois conditions, une fois réunies, doivent préparer le terrain pour amorcer le virage escompté au niveau de son futur modèle de développement appelé plus que jamais à répondre aux ambitions nées des événements de 2011 et au premier rang desquelles figurent l’amélioration du niveau de vie, le développement des régions, la lutte contre le chômage et l’exclusion…
A la lumière de cette situation, le pays est appelé, estime le rapport, à relever un double défi : gérer le court terme et préparer l’avenir.
La cohérence, note le document, exige que les mesures de court terme s’insèrent dans le cadre de la vision dont se dotera le pays et que le moyen et le long terme soient engagés dès à présent, bien que leur impact ne soit ressenti que plus tard.
Mesures à court terme
Le rapport propose six mesures pour remettre l’économie du pays sur une trajectoire de croissance.
En premier lieu, il s’agit de rééquilibrer le modèle de développement. La démarche consiste à «baser ce modèle sur les trois sources de croissance : exportation, investissement et consommation et engager -pour le long et moyen terme-, les stratégies nécessaires pour l’amélioration de la compétitivité, la simplification des procédures pour la création d’entreprises ainsi que le développement des exportations.
Parmi les suggestions pragmatiques proposées, figurent la restitution de la compensation industrielle particulièrement pour les franchises et l’accroissement de l’investissement à travers la création de PME/ PMI.
En second lieu, l’accent doit être mis sur le rétablissement de la confiance et sur les anticipations.
Concernant le volet confiance, il y a urgence, note le rapport, de réexaminer les dispositions de l’article 96 du Code pénal (article plombant toute prise d’initiative de la part des gestionnaires publics) aux fins de renforcer l’efficacité d’intervention de l’Administration et des banques publiques, de les responsabiliser et de mettre fin à la léthargie prévalant actuellement.
Autre mesure concernant les hommes d’affaires. Il s’agit de trouver avec eux des arrangements selon des modalités nouvelles à définir.
S’agissant du volet anticipations, le rapport recommande l’institution d’une amnistie de change et la conclusion avec les partenaires sociaux d’un accord sur deux ans. En vertu de cet accord, les augmentations salariales seront reportées au-delà de 2019, et ce, en cas de reprise de la croissance.
En troisième lieu, la démarche à suivre portera sur le renforcement des exportations et des flux de devises. Pour ce faire, l’enjeu est de réactiver le mécanisme de compensation industrielle aux franchises étrangères de nature commerciale.
Il s’agit aussi d’abroger le décret-loi du 24 octobre 2011 qui autorise les Tunisiens de retour au pays à maintenir leurs ressources à l’étranger, d’encourager les travailleurs tunisiens à l’étranger (TTE) à délocaliser leurs comptes en devises en Tunisie moyennent des taux de rémunération incitatifs et d’émettre un emprunt obligataire sous forme de BTA auprès des TTE.
La Tunisie a par ailleurs intérêt à disposer de davantage de devises, note le rapport, d’autoriser les non-résidents à obtenir des crédits locaux sous forme de leasing pour l’achat de résidences à vocation touristique à condition de rembourser en devises.
En quatrième lieu, le rapport propose quatre mesures pour atténuer la pression sur le dinar et faciliter la sortie sur le marché financier international. Ces mesures consistent à adopter le principe d’encadrement du taux de change par la mise en place d’un tunnel de fluctuation du dinar (plus ou moins de 2,5%), de négocier des accords de Swap (devises/dinars) à moyen terme, d’inciter les opérateurs à mobiliser des lignes de crédit commerciaux à moyen terme (18-24 mois), de revoir provisoirement quelques mesures prises en matière de change : niveau de 100% des comptes CPD, AVA, bénéfices exports et l’allocation au titre des agences de voyages.
En cinquième lieu, des efforts doivent être déployés avec rigueur pour réduire la dette et la rationaliser. L’accent doit être mis sur l’adoption de la règle d’or qui impose que le plafond de la dette publique par rapport au PIB ne doive plus dépasser le taux de 70%, et ce, dès l’année en cours.
Les autres mesures liées à la dette portent sur la création d’une Agence Tunisie Trésor qui sera chargée de la gestion de la dette et de l’introduction de techniques de gestion dynamique de cette dette. Une attention particulière doit être accordée à l’affectation systématique et exclusive des emprunts extérieurs aux projets de développement.
En sixième lieu et en dernier, un intérêt particulier gagnerait à être accordé à l’amélioration de l’image du pays à l’extérieur du pays et à sa dotation d’une stratégie proactive de diplomatie économique.
A cet effet, le rapport propose trois mesures, en l’occurrence :
La création d’un Conseil supérieur de la diplomatie économique. L’enjeu est de faire évoluer l’ambassade classique en véritable think-tank, de revoir la conférence annuelle des ambassadeurs dans sa forme et son contenu et de développer les services d’intelligence économique.
Vient ensuite la mise en place d’une stratégie agressive de lobbying laquelle exige des Tunisiens de compter sur les services d’un bureau spécialisé en la matière.
La troisième mesure suggère la reconquête du rating de la Tunisie en suivant une triple démarche visant à réintroduire l’agence S&P dans la liste des agences qui notent la Tunisie, à instituer en Tunisie un forum international de type Davos Maghreb, Davos Afrique.., à accélérer la mise en place de mesures destinées à renforcer le dispositif de lutte anti-blanchiment et contre le financement du terrorisme et à prévoir à l’occasion de la prochaine sortie sur le marché financier international un large road-show axé sur les nouvelles réformes et efforts de la Tunisie.
Les réformes urgentes
Le rapport en propose sept. Elles concernent la réhabilitation de l’économique dans le débat politique, la sécurité sociale , les entreprises publiques, l’administration publique, la fiscalité, le secteur bancaire et la compensation.
La première réforme a trait à la réhabilitation de la dimension économique. Concrètement, le rapport recommande la création d’une structure de concertation sur les questions d’ordre économique et social à l’instar de l’ancien Conseil économique et social (CES) où siègeront des représentants des partenaires sociaux, de l’administration, de l’université et de la Société civile. Le rapport fait une mention spéciale pour la révision de la mission de la BCT et de son mode de gouvernance. Il suggère de réintroduire la possibilité pour cette institution de soutenir l’économie nationale lorsque l’objectif principal (stabilité des prix) est atteint. Il propose également de nommer, directement, le gouverneur de la BCT et des membres de son conseil par le président de la République ou par le parlement (ARP), et ce, sans immixtion, sous quelque forme que ce soit, du chef du gouvernement. Car, estime le rapport, l’indépendance de la politique monétaire doit s’exprimer d’abord à l’égard du gouvernement.
La deuxième réforme concerne la sécurité sociale. Trois mesures sont recommandées: report de l’âge de départ à la retraire à 62 ans obligatoirement et à 65 ans facultativement, réexamen du système de péréquation des pensions dans le secteur public et adoption du principe de valorisation des pensions selon la hausse des prix et introduction progressive d’une dose de capitalisation pour les hauts salaires.
La troisième réforme porte sur les entreprises publiques. Le rapport se prononce d’emblée pour la privatisation de certaines d’entre elles et préconise l’établissement d’une liste des entreprises à privatiser (entreprises qui opèrent dans les activités concurrentielles …) et celles qui resteront dans le giron du public (Sonede, Steg, Onas…). Dans le même contexte, il propose la création d’un fonds de restructuration des entreprises publiques où seront déposées des recettes de privatisation qui ne seront utilisées que pour assainir les entreprises qui resteront publiques ou à financer quelques programmes sociaux.
Autres mesures : elles visent à introduire le mécanisme de l’IPP (mode de gouvernance et de performance des entreprises) et progressivement les nouveaux modes de gestion (gestion des entreprises publiques par des privés…). Il s’agit aussi d’accélérer la cession des entreprises qui ont fait l’objet d’expropriation.
La quatrième réforme cible l’administration publique. Trois mesures méritent qu’on s’y arrête. La première recommande l’allégement des effectifs à travers, non seulement, le non remplacement des départs à la retraite et des départs anticipés à la retraite, mais également, le redéploiement des effectifs en transférant les sureffectifs vers les secteurs encore à besoins (contrôle fiscal, douane, administration régionale, nouveaux corps de police créés dans l’environnement, l’équipement…) et ce, moyennant un programme de requalification.
Toujours au rayon de l’administration publique, le rapport prône la généralisation de la procédure du Budget par objectifs et la réforme de l’enseignement à l’Ecole nationale d’administration (ENA).
La cinquième réforme a trait à la fiscalité. Les mesures proposées ont pour objectif de simplifier les textes fiscaux, de moderniser l’administration fiscale et de réorganiser ses services selon la nature des assujettis (grandes entreprises, PME, personnes physiques…).
Il s’agit aussi d’investir dans la digitalisation et les systèmes informatiques, de renforcer «le Système Sadok» de contrôle fiscal en enrichissant sa base de données, de renforcer la TVA à travers sa généralisation et de poursuivre la lutte contre les régimes forfaitaires à travers le recoupement des données pour en limiter le bénéfice à ceux initialement concernés par ce régime.
La sixième réforme concerne le secteur bancaire. Le rapport suggère de réexaminer quelques dispositions de la loi bancaire. Il recommande de relever le capital minimum pour la création d’une banque à 150 MDT, de réduire le nombre des banques, de céder «immédiatement», note le rapport, les participations minoritaires de l’Etat dans les banques, notamment mixtes, de privatiser, à court terme, la Banque de l’Habitat et la Zitouna, de créer une holding BNA-STB-BFT et de prévoir la mise en place d’une «Bad -Bank» pour résoudre le problème des actifs accrochés de ces banques, notamment de la BFT.
La septième réforme concerne l’épineux problème de la compensation. Le rapport propose la réinstauration du principe de ciblage par les prix (relèvement progressif des prix des produits compensés et soutien financier aux salaires faibles (Smig, Smag, PNAFN et autres…). Un intérêt mérite d’être porté au ciblage selon les produits en axant sur un nombre limité de produits (éviter la compensation du sucre) et à l’amélioration de l’efficacité de la compensation accordée à l’énergie. L’idée est de débloquer, dorénavant, les subventions au titre de l’agriculture sur la base de la production effectivement réalisée.
Parallèlement à ces réformes, il importe, recommande le rapport, d’engager des mesures d’accompagnement axées sur le soutien et l’insertion sociale au niveau de l’emploi, de la formation professionnelle et du développement des PME/PMI, des petits métiers et du travail indépendant.
Les conditions à réunir pour le succès de ce programme de redressement économique
En conclusion le rapport évoque les mesures d’accompagnement et les conditions d’exécution de ce programme de redressement économique.
Il propose, au plan de la gouvernance, la mise en place d’une équipe gouvernementale réduite (15 membres) ayant une connaissance parfaite des questions macroéconomiques et une expérience en matière de conduite des programmes de réformes, un comité de suivi de haut niveau piloté par la Présidence de la République et le parlement.
Last but not least, le rapport suggère une task force pour faire connaître le programme au plan international et en défendre le contenu et mobilier la communauté financière internationale en sa faveur.
Le programme de redressement économique, une oeuvre collective
Ce rapport, qui vient d’être présenté au président de la République, e st un travail collectif mis au point par le Centre international Hédi-Nouira de prospective et d’études sur le développement auquel ont participé dix-sept personnalités dont d’anciens hauts cadres de l’Etat et de nouveaux experts économiques qui ont émergé après le soulèvement du 14 janvier 2011. En voici la liste :
-
Taoufik Baccar, président du Centre international Hédi-Nouira de prospective et d’études sur le développement et ancien ministre du Développement et des Finances et ancien Gouverneur de la Banque centrale de Tunisie (BCT).
-
Faiza Kéfi, vice-présidente du Centre international Hédi-Nouira et ancienne ministre de l’Emploi, de la formation professionnelle, de l’environnement et ancienne ambassadrice de Tunisie en France.
-
Mahmoud M’zoughi, président de l’Association des anciens officiers de l’Armée nationale,
-
Néjib Hachana, vice-président du Centre international Hédi-Nouira, diplomate, ancien ambassadeur de Tunisie à Washington, à Alger et au Koweit.
-
Samir Brahimi, secrétaire général du Centre international Hédi Nouira et ancien Directeur général de la Banque tuniso-qatarie et expert international dans le domaine du blanchiment d’argent et de financement du terrorisme.
-
Adel Kaaniche, avocat et ancien président de l’Association des anciens parlementaires,
-
Sophie Bennaceur, expert international dans le secteur des finances et dans le domaine de la gestion des crises économiques et financières,
-
Hamadi Ben Jaballah, universitaire, sociologue et expert en matière d’éducation et d’enseignement,
-
Moez Joudi, expert économique et président de l’Association tunisienne de la gouvernance et membre du Centre international Hédi-Nouira.
-
Moncef Bousanouga, expert-comptable et président du bureau KPMG,
-
1Ahmed Bel Aifa, expert-comptable et président du bureau MTDF,
-
Boubaker Bousbiaa, ingénieur général et ancien PDG
-
Badreddine Barkia, ancien directeur général à la Banque centrale de Tunisie,
-
Habib Sfar, ancien directeur général à la BCT et ancien directeur général de la Banque tuniso- koweitienne,
-
Brahim Hajji, ancien directeur général à la BCT et ancien PDG de banque,
-
Kacem El Borji, ancien directeur général au ministère du Développement et ancien commissaire au développement régional,
-
-Mohamed Salah Souilem, ancien directeur général à la BCT.