Slim Khalbous, ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique, a reçu vendredi 29 juin 2018 le Docteur Marouane Kessentini (34 ans), Maître de Conférences en génie logiciel à l’Université du Michigan, sur les deux campus Dearborn et Ann Arbor, et lui a annoncé qu’il proposera son nom pour le Prix Présidentiel du meilleur chercheur tunisien.
Lors d’un précédent article, nous vous avions déjà parlé du Docteur Marouane Kessentini qui a obtenu trois prix en 2018 de l’Université du Michigan (enseignement, digital, recherche). Rencontre avec ce Tunisien dont la passion pour son métier le mènera sûrement plus loin sur le chemin du succès.
Docteur Kessentini, pouvez-vous vous présenter et nous en dire plus sur votre cursus universitaire ?
Je suis Marouane Kessentini et j’ai 34 ans. Actuellement, je suis Maître de conférences à l’Université du Michigan où j’ai trois affiliations : une au campus de Dearborn, en « computer and information science », donc en informatique, et deux au campus de Ann Arbor, au School of Information et au département informatique (Computer Science and Engineering).
J’ai effectué mon master en Tunisie à l’Ecole nationale des sciences informatiques et j’ai validé mon stage à l’Institut national de recherche sur les transports et leur sécurité (INRETS).
Ensuite, j’ai obtenu mon diplôme de doctorat à l’université de Montréal. J’étais alors boursier de l’Etat Tunisien pendant 4 ans. C’était le système de recherche nord-américain qui m’avait surtout attiré et séduit par son absence de hiérarchie et sa valorisation de la recherche motivée par des problèmes industriels et des transferts de technologie.
Après mon doctorat, j’ai dû choisir entre rester à Montréal, repartir en Europe ou aller aux Etats-Unis. Le choix était cornélien, mais avec mon épouse nous avons choisi de nous installer au Michigan car la ville offrait le meilleur compromis entre coût et stabilité, en plus de l’excellente réputation de l’université.
De plus, la forte solidarité de la population arabo-américaine là-bas et le cadre chaleureux de l’Université du Michigan ont fait que nous ne nous sommes pas sentis dépaysés.
Vous avez reçu 3 prix de distinction de l’Université du Michigan (digital, enseignement, recherche) et c’est la première fois que l’université décerne ces 3 prix au même professeur. Pouvez-vous nous en dire plus ?
L’université du Michigan donne chaque année 4 prix : recherche, enseignement, éducation numérique et services administratifs. Je n’étais pas vraiment éligible pour ce dernier prix.
J’ai été élu le meilleur professeur de l’Université du Michigan et c’est le prix que je considère le plus valorisant. C’est vrai que j’avais l’une des meilleures évaluations pour mes cours presque 5/5 et que je me suis toujours investi dans l’enseignement de mes étudiants. La compétition opposait les 1400 professeurs de l’université. J’étais stupéfait en découvrant que 43 de mes étudiants avaient écrit des lettres pour soutenir ma candidature.
Ensuite, j’ai aussi obtenu le prix d’éducation numérique qui consiste en l’utilisation de la recherche pour améliorer l’enseignement. Mes étudiants ont toujours été ma priorité.
J’avais deux étudiants malvoyants et je savais à quel point c’était difficile pour eux de comprendre les cours, les exercices et les slides. En programmation informatique, on a affaire à une grande quantité de codes source, ce n’est pas facile d’assimiler lorsqu’une machine te lit des codes source pendant des heures. Donc, nous avons essayé d’adapter nos technologies d’intelligence artificielle (IA), que nous avons déjà validé dans d’autres domaines pour leur générer des résumés. Nos études ont démontré qu’ils gagnaient ainsi en moyenne 2 heures de temps lorsque ces étudiants malvoyants travaillent sur des exercices de programmation.
De plus, nous avons essayé de créer une connexion entre des élèves malvoyants indiens et des étudiants dans mon cours pour qu’ils travaillent ensemble et nous avons aussi organisé des sessions de live streaming, le but étant de résoudre le problème d’intégration des étudiants malvoyants et de faciliter leur passage du lycée à l’université. Aujourd’hui, nos technologies sont utilisées dans beaucoup d’autres lycées et sous licence.
Enfin, le troisième prix que j’ai obtenu est celui de la recherche. Nous avons publié plus d’une centaine d’articles (160) de qualité ces cinq dernières années dans les meilleurs journaux scientifiques.
D’ailleurs, l’une des motivations citées lors de ma nomination fait référence au grand nombre de mes publications sur cinq ans, chose qui se fait habituellement par tout un département ou durant toute la carrière d’un professeur. C’est surtout la qualité de mes publications qui les avait surpris !
Vous êtes le directeur et le fondateur du laboratoire SBSE, pouvez-vous nous en dire plus sur ce laboratoire et les universités avec lesquelles vous coopérez ? Acceptez-vous des chercheurs tunisiens ?
J’ai essayé d’apporter ma vision de l’intelligence artificielle pour essayer de résoudre des problèmes de génie logiciel. Nous avons ainsi étendu un nouveau domaine, à savoir le «Search based software engineering» dont mon laboratoire a été le leader et en a fait sa spécialité.
Nous collaborons avec une trentaine d’universités partout dans le monde et j’ai été professeur invité dans 23 universités ces cinq dernières années pour enseigner ce nouveau domaine.
J’ai eu cinq étudiants tunisiens en Ph.D sur les 11 de mon laboratoire et aussi 9 étudiants tunisiens de niveau mastère.
Nous avons travaillé sur plus de 25 projets de recherche financés soit par l’industrie, soit par des agences fédérales.
Aux Etats-Unis, ce sont les fonds de recherche qui financent les études des étudiants.
Aujourd’hui, je suis fier de vous annoncer que mes anciens étudiants tunisiens en Ph.D sont professeurs dans des universités très réputées en Amérique du nord comme le Rochester Institue of Technology (The RIT), l’ETS, l’Université du Québec et l’Université d’Alberta.
Mes anciens étudiants tunisiens en mastère sont aujourd’hui des ingénieurs de recherche et développement dans des compagnies mondiales comme Ford, GM, Amazon, etc.
Et pour conclure, vous avez dit que « lorsqu’on est sous la lumière, il est alors temps d’explorer de nouvelles zones d’ombre » quels sont vos nouveaux projets de recherche ?
Le big challenge est celui des véhicules autonomes, car Michigan est connue comme la capitale du monde de l’automobile. D’ailleurs, cette dernière veut être la première ville des véhicules autonomes et offre beaucoup d’opportunités dans ce sens avec les nouvelles technologies de l’IA.