Pour appréhender la question de la migration, il est important de dresser un état des lieux sur la situation sur les deux rives de la Méditerranée. Venu spécialement pour assister au colloque international sur les « Dynamiques migratoires dans la région euro-méditerranéenne » qui a eu lieu récemment à Tunis organisé par France Terre d’asile et sa section tunisienne Terre d’asile Tunisie en partenariat avec l’ONM, Pierre Henry, directeur général de France terre d’asile nous livre ses impressions. Interview.
– Comment analysez-vous la situation de l’immigration en Méditerranée ?
Aujourd’hui, la situation en Méditerranée est très conditionnée par la situation extrêmement détériorée de la Libye et par les différentes violences aujourd’hui à l’œuvre, que ce soient des situations de guerre ou non. La situation en Libye est loin d’être stabilisée et l’organisation terroriste Daech est même encore présente à l’intérieur du pays. Depuis 2015, plus d’un million de personnes ont tenté le voyage vers la rive nord de la Méditerranée et la situation est extrêmement préoccupante, notamment par la présence d’un grand nombre d’organisations criminelles qui envoient les gens dans des barques en pleine Méditerranée induisant la mort de plusieurs d’entre elles.
Ce colloque a pour objectif d’étudier les dynamiques migratoires qui sont à l’œuvre dans la région, notamment toutes les migrations qui transitent depuis la Libye vers l’Europe.
Quant à la question de la migration régulière des Tunisiens vers l’UE, il s’agit d’un autre débat. Ce sont deux situations tout à fait différentes. Nous déduisons ainsi qu’il est important d’accentuer et de faciliter la mobilité des personnes dans le cadre de la migration régulière, d’une part et lutter contre l’immigration irrégulière d’autre part.
– Existe-t-il une définition universelle de l’immigration?
La notion d’un migrant au sens international du terme signifie simplement que quelqu’un sort de son pays pour différentes raisons. Or il y a une distinction de droit entre les personnes qui fuient les situations de persécution et celles qui fuient un pays qui n’offre pas de perspective suffisante en termes d’avenir où on peut s’enfuir d’une situation économique extrêmement détériorée.
– Les pays de l’UE se sont-ils mis d’accord sur une définition commune?
Les pays européens contrairement à ce qu’on dit, ne sont pas une forteresse. L’Europe accueille aussi légalement. La distinction aujourd’hui à l’œuvre s’appuie sur la Convention de Genève, qui définit une personne réfugiée et une personne qui ne l’est pas. Mais en raison de la « crise » de 2015, qui est à notre sens plus une crise de l’accueil des réfugiés, les pays européens ont vu des oppositions assez fortes naître sur la perception de l’accueil, ce qui a conduit à une remise en cause de la notion même de l’asile.
– Y a-t-il une défaillance du système européen sur la question d’accueil aux migrants?
Il s’agit d’une défaillance de solidarité entre les pays européens, notamment un certain nombre de pays européens qui ne veulent pas accueillir des migrants. C’est le cas de pays comme l’Autriche, le Danemark, mais surtout de la Hongrie, la Pologne, la Tchéquie qui ne veulent plus jouer le jeu de la solidarité.
– Qu’en est-il du projet de loi asile et immigration en discussion au Parlement français?
Si vous voulez mon avis, ce projet de loi est déséquilibré et précipité. C’est la seizième loi sur l’asile et l’immigration depuis 1980 et elle intervient alors même que tous les effets de la réforme de l’asile de 2015 n’ont pas encore été évalués. Par ailleurs, le projet met surtout l’accent sur les actions pour mieux renvoyer, mais ne pense pas le premier accueil, ne l’organise pas, alors que c’est pourtant le défi majeur. Il ne faut pas oublier non plus qu’il s’agit avant tout d’une question européenne et que l’avenir de la question migratoire se joue à Bruxelles. Au niveau européen, il y a eu des propositions qui ont récemment été formulées par certains pays pour installer des plateformes de débarquement des personnes migrantes qui tentent de travers la Méditerranée et des centres d’accueil fermés sur le sol européen. Je pense qu’il faut aujourd’hui développer plus les partenariats entre les deux rives de la Méditerranée et faire d’autres propositions que celles réalisées lors du dernier sommet européen.
– Quelles autres propositions pourraient être faites?
Nous avons en commun la Méditerranée. Il faut que les propositions soient des propositions humaines, solidaires. Par exemple, avant d’accueillir des migrants dans des centres fermés, il faut les sauver en Méditerranée et ensuite les accueillir dans des endroits sûrs, dans des ports sûrs répartis sur l’ensemble du pourtour méditerranéen. Ensuite, qu’il y ait des règles à respecter pour les personnes qui arriveront sur le territoire, il n’y a là rien de très choquant. Les défis du monde contemporain sont multiples. Il n’y a pas que cette crise politique en Europe aujourd’hui, qui est profonde, par la vision de l’asile, plus généralement de l’accueil de l’étranger, et que révèlent les discours et les actes de nombre de gouvernants européens. Il y aussi des défis plus durables et qui demandent plus d’échanges, de partenariats, comme le défi énergétique ou encore écologique. Je crois qu’ensemble nous pouvons développer plus de projets communs et pas seulement sur l’aspect des migrations.
La Tunisie a fait un effort énorme, en matière de protection des personnes migrantes au niveau des frontières avec la Libye… Il manque peut être un outil pour protéger ce qui doit l’être, une loi sur l’asile, qui se trouve en gestation depuis plus de quatre ans à l’ARP. Il serait probablement bien de remettre au tapis ce projet de loi. Je pense que la France et la Tunisie doivent avoir des stratégies de partenariat avec les pays de l’Afrique Subsaharienne et elles doivent les décider ensemble.
– Une collaboration tuniso-française?
Il y a un partenariat entre la France et la Tunisie qui doit être développé et approfondi, il faut mettre sur la table ce qui marche et ce qui ne marche pas. La France est le premier partenaire de la Tunisie. Il faut regarder de près l’accord franco-tunisien. Il faut approfondir cette question en étant favorable à des circularités accrues.
Qu’entendez-vous dire par la mobilité de circulation?
Si nous arrivons à améliorer le cadre de circulation dans l’espace régional avec probablement les trois pays du Maghreb, même si l’UMA ne fonctionne pas encore. C’est important ! J’espère qu’il y aura des responsables politiques qui agiront dans ce sens. Aujourd’hui, nous avons besoin de dialoguer et la société civile n’a pas à calquer ses positions sur ce qui se passe au nord. Il faut être beaucoup plus imaginatif. Et je crois que la société civile a son mot à dire sur cette question.
– Sur un autre volet, qu’en est-il de la lutte contre la traite ?
Il y a deux dimensions sur lesquelles nous sommes engagés, la protection des personnes qui sont victimes de traite et la lutte contre les réseaux. Nous ne pouvons pas permettre le développement de ce grand trafic et nous devons lutter contre tous ceux qui s’enrichissent. Nous travaillons avec la Tunisie et en collaboration avec la France, le Sénégal et la Côte d’Ivoire dans la mise en place de programmes de prévention de lutte contre la traite. Il est important de se documenter, de comprendre, d’alerter les sociétés et faire de la prévention.