La nouvelle attaque terroriste contre les forces de sécurité du pays – qui a coûté la vie à six membres de la Garde nationale – est la plus meurtrière depuis plus de deux ans. De quoi conforter à la fois le régime d’état d’urgence en vigueur depuis novembre 2015, ainsi que la crise politique aiguë qui sévit depuis ces derniers mois.
Ces activités criminelles terroristes représentent une contestation de l’autorité étatique sur une partie du territoire et de la population nationale, malgré le développement de la coopération internationale et régionale. Faut-il le rappeler, la plupart des attaques meurtrières contre les agents des forces de l’ordre ont été perpétrées dans cette région du nord-ouest tunisien, ce qui nourrit le sentiment que cette portion du territoire national échappe encore à l’autorité de l’Etat. Un sentiment qui suscite à son tour la défiance des citoyens à l’égard d’un Etat censé leur garantir la sécurité…
En effet, si le terrorisme djihadiste constitue un défi existentiel pour l’Etat (tunisien), c’est aussi parce qu’il a pour vocation et fonction fondamentale de garantir la sécurité de ses habitants. Il s’agit de l’essence même de tout Etat. La sécurité fait en effet partie des fonctions régaliennes, minimum ou « naturelles » que l’État assure en tant que puissance souveraine. Historiquement, l’État s’est construit à partir de l’idée selon laquelle certaines activités – liées en particulier à la sécurité interne (police) et externe (défense, diplomatie), – sont consubstantielles à la souveraineté.
Théoricien de l’État moderne, le philosophe Thomas Hobbes – marqué par la violence des conflits religieux qui déchirent les monarchies d’Europe occidentale du XVIIe siècle – identifie la question de la sécurité à la base de l’avènement de la société comme de l’État.
La transaction Liberté contre Sécurité
Selon sa théorie contractualiste, dans l’état de nature, l’Homme est guidé par le désir de domination du corps et des biens d’autrui. En l’absence de normes juridiques, l’état de nature est un état de « guerre (permanente) de tous contre tous », un état dans lequel « l’homme est un loup pour l’homme », un état d’insécurité habité par la peur et l’instinct de survie. Les Hommes décident alors de s’émanciper de cet état de nature, synonyme d’insécurité physique et matérielle, pour entrer dans un état de société. Ce passage est acté par un contrat noué entre les individus eux-mêmes, qui acceptent (au nom de la garantie de leur sécurité)de se dessaisir de leurs droits et libertés (naturels) au profit d’un État à l’autorité absolue auquel ils acceptent de se soumettre. Cet être extérieur à la société tire sa légitimité, sa puissance (publique) et sa volonté (souveraine) de la volonté des Hommes. C’est dans cette transaction – liberté contre sécurité – que se trouve l’exceptionnalité : c’est parce que le souverain doit assurer la protection, la sécurité des individus, que pour cela rien ne doit limiter la puissance du Léviathan-souverain, bref l’Etat.
Le retour à l’origine historique et théorique de l’Etat est nécessaire pour saisir ce qui se joue dans la Tunisie post-révolutionnaire. Le processus de transition démocratique qui représente un progrès en soi dans l’histoire nationale ne saurait masquer le spectre de l’« État failli » (failed state) – parfois connu sous le nom d’ « État effondré » (state collapse). Il s’agit de situations étatiques qui se caractérisent par la perte des attributs de l’État qui constituent sa souveraineté, ou par l’incapacité à remplir ses fonctions de contrôle du territoire, de sécurité des citoyens, de services publics de base, enfin à soutenir l’ordre et la stabilité régionale et internationale.
La « faillibilité » d’un État a des conséquences pour l’État lui-même, mais aussi pour son environnement plus ou moins proche, car elle est source de déstabilisation. En cela, le destin de la région se joue en partie dans cette sous-région algéro-tunisienne, au moment où l’espoir d’une stabilisation du pays semble renaître en Libye …