Depuis la nuit du jeudi 19 juillet 2018, la capitale libyenne Tripoli connaît un mouvement de protestation qui s’amplifie jour après jour. Le mouvement qui s’est déclenché jeudi a pris le jour suivant, précisément après la prière du vendredi, plus d’ampleur annonçant l’enclenchement d’un mouvement qui ne semble pas près de s’achever pour bientôt. La soirée de dimanche et jusqu’à l’aube de ce lundi 23 juillet, le mouvement a poursuivi son cours dans ce qui donne l’impression d’un déjà- vu, à savoir ces manifestations nocturnes qui ont secoué plus d’un pays de la région arabe, dans le cadre de ce qui a été baptisé « le Printemps Arabe ».
La nuit d’hier plusieurs centaines de jeunes ont occupé les artères principales de la capitale, bloqué des points d’accès importants et brûlé des pneus de voitures. La ville a connu ce matin un déploiement important des forces de sécurité, apparemment débordées, voire dépassées par les événements, pour tenter, tant bien que mal, de prévenir une éventuelle reprise des protestations durant la journée. Au début, ils n’étaient que quelques dizaines à manifester, puis leur nombre n’a pas cessé de grossir pour atteindre à un certain moment le pic de quelques milliers de manifestants qui investissent jour après jour les rues de la capitale.
Ce mouvement de protestation est dû aux fréquentes coupures de courant. En effet, l’institution libyenne de distribution d’électricité annonce un déficit de 18000 mégawatt, chose qui l’a contrainte à gérer la distribution d’électricité en procédant à des coupures fréquentes pouvant atteindre 7 heures quotidiennement.
C’est pourquoi, il semble qu’il est important de rechercher la cause réelle dans un autre registre. A noter dans ce contexte, qu’en Libye, rien de cette ampleur ne peut se produire sans le consentement des dignitaires et des chefs des tribus qui font désormais la pluie et le beau temps dans le pays.
En effet, depuis quelques semaines, des voix commencent à s’élever réclamant le départ de Faiez Sarraj, président du Conseil présidentiel du gouvernement Al Wifaq. Sarraj est accusé d’après ces voix d’avoir échoué dans la mission pour laquelle il a été intronisé à la tête du gouvernement Al Wifaq et d’être le vrai responsable de la situation d’instabilité en Libye actuelle. Ces réclamations sont devenues encore plus intenses après la victoire du maréchal Haftar à Derna.
D’autre part, la tension au niveau des relations diplomatiques entre l’Italie et la France autour de la question libyenne, commence à monter et à prendre des proportions plus importantes. La France qui a voulu marquer le processus politique en Libye par son empreinte et ce en invitant les différents belligérants en Libye à se réunir à Paris, le 29 mai 2018, dans le cadre d’un congrès pour la réconciliation chapeauté par Emmanuel Macron. Ce congrès, qui a abouti à un accord sur la tenue d’élections générales en Libye le 9 décembre 2018, n’a pas été du goût des voisins italiens qui considèrent que la question libyenne est une affaire qui les concerne au premier chef. C’est pourquoi, à peine que le nouveau gouvernement italien a été mis en place au mois de juin dernier, la question libyenne a été mise à un niveau prioritaire de la politique étrangère italienne. Outre le problème de la migration irrégulière qui préoccupe considérablement l’Italie, le processus politique, dans lequel la France est venue s’immiscer, est d’une importance capitale. Rien que ce matin, le chef du gouvernement italien, Giuseppe Conte, a, dans un discours, fustigé ouvertement Macron qualifiant son projet pour la Libye comme une erreur dont les retombées seront fatales pour le pays.
A rappeler que l’Italie affiche un soutien politique clair pour le gouvernement Sarraj tout en maintenant quelques contacts avec le gouvernement provisoire du parlement de Tobrouk, soutenu par l’homme fort de la Libye, Khalifa Haftar. Alors que la politique française en Libye est totalement l’opposé, c’est-à-dire un soutien affiché à Haftar tout en maintenant des canaux de dialogue avec Sarraj.
Pour ces considération, il semble opportun d’analyser la crise actuelle sous cet angle car il est clair que certaines parties, de l’intérieur (Haftar) et de l’extérieur (la France), cherchent à affaiblir encore plus Sarraj et ce, dans son fief même, c’est-à-dire la capitale Tripoli. C’est pourquoi, on est en droit de se demander si la tension actuelle ne s’inscrit pas dans le cadre de la création d’une situation qui peut mener vers l’imposition des élections comme seule et unique alternative dans la mesure où l’appel à la destitution de Sarraj implique la mise de la communauté internationale devant l’évidence que Sarraj n’est pas l’homme de la situation puisque, non seulement il a échoué dans la mise en place des institutions de l’Etat, la mission pour laquelle il a été choisi par la communauté internationale, mais aussi parce qu’il souffre d’un déficit de popularité qui ne peut que décourager tous ceux qui misent sur lui.