Jeudi dernier, nous avons assisté au Concert de Marcel Khalifé à Carthage. Sur scène le trio Marcel Khalifé, Rami Khalifé et Aymeric Westrich nous a enchantés et surpris. Enfin, le mixage entre batterie, piano et luth n’est peut-êre pas habituel mais c’était un vrai régal musical.
Rami Khalifé a pu jouer au piano certains de ses morceaux . Son Requiem for Beirut incarne la déchirure et la douleur de la guerre. Quelle découverte!
Nous avons eu le privilège de le rencontrer le lendemain pour une interview et c’est en toute simplicité qu’il a répondu à nos questions.
On vous présente comme un pianiste virtuose, pouvez-vous nous décrire en quelques mots votre parcours ?
C’est vrai que je viens d’une famille de musiciens et donc dès petit c’était une évidence pour moi de jouer d’un instrument.
Le piano m’a toujours attiré pour les possibilités illimitées de création qu’il permet.
J’ai commencé mes études de Conservatoire en France et après l’obtention de mon diplôme je me suis spécialisé au piano à la Julliard School à New York.
J’ai commencé ma carrière musicale parallèlement à mes études à cette école où j’ai obtenu mon diplôme de Master.
Aujourd’hui, je mène de front plusieurs projets à la fois , une carrière de soliste, les concerts du trio (Marcel Khalifé, Rami Khalifé, Aymeric Westrich) et je travaille avec Aymeric sur un projet qui fusionne la musique électronique et la musique acoustique.
Dans la musique engagée de votre père, Marcel Khalifé, le message est très important. Or avec les nouvelles interprétations il semble que le message soit passé au second plan ?
Non parce que la musique peut tout autant transmettre un message révolutionnaire ou de dénonciation. Les paroles ne sont pas toujours utiles pour transmettre des émotions avec le public.
Un très bon exemple pour illustrer mes propos : jeudi lorsque j’ai joué à Carthage le Requiem pour Beyrouth , il n’y avait pas de paroles mais ça parlait de la guerre , de la douleur, et c’est un hommage que j’ai voulu rendre à la ville de Beyrouth. Les spectateurs ont ressenti le message que j’ai voulu transmettre de manière très forte. Mon message n’est passé que par la musique .
Bien sûr, que c’est encore plus difficile de faire passer le message parce que les gens ont besoin de repères et les paroles peuvent être ces repères. Mais lorsque nous nous donnons à fond et que nous sommes vrais avec notre art, notre message passe. C’est un défi pour nous , croyez-moi.
Vous vivez en France. Quelles ont été vos sensations lorsque vous avez joué la première fois au Liban ? Et comment s’est passée la rencontre avec le public libanais ?
J’ai toujours gardé un contact avec le Liban même avant de réaliser mon premier concert.
Nous avons pris l’habitude de rentrer tous les ans au Liban pour renouer avec nos racines.
C’est vrai que j’ai de très bons souvenirs de mon concert à Beyrouth sur la place des Martyrs. Cette place séparait l’est de l’ouest de Beyrouth et pendant la guerre, c’était la zone la plus dangereuse car des snipers et des francs-tireurs étaient postés jour et nuit là-bas. C’était un sentiment très fort et un moment unique . C’est aussi spécial car la famille et les amis viennent vous voir. Mais j’ai de très bons souvenirs ailleurs aussi , en Tunisie, au Maroc , en France c’est la qualité du public qui m’importe le plus. Pour moi l’essentiel c’est de jouer pour des gens qui éprouvent des émotions. je suis un humaniste qui voit plutôt l’être humain avant de voir sa nationalité .
D’après vous quel rôle peut jouer la musique, dans le paysage culturel et politique des pays arabes. Est-ce que la musique peut révolutionner les idées ?
Je pense que dans le monde arabe il y a un manque d’éducation lié à l’art , à la culture qui existe pourtant dans les pays plus développés . En effet, l’enseignement de la musique se fait assez tôt dès l’âge de 4-5 ans. Leur oreille s’habitue ainsi dès leur plus jeune âge à écouter de la musique et leurs mains à jouer d’un instrument. Et c’est cette éducation qui manque chez nous,C’est vrai que la musique apaise les mœurs et apporte aussi la paix, un esprit de curiosité et de partage à l’être humain. Elle affine aussi la sensibilité.
Je pense qu’il faut enseigner la musique aux enfants pas pour en faire forcément des musiciens mais pour leur donner une nouvelle approche de la vie .C’est tout un système d’éducation à repenser dans les pays arabes.
Quelles sont les villes intérieures tunisiennes prévues dans votre tournée et quel message allez-vous leur apporter ?
Nous avons donnéé 5 concerts avant celui de Carthage. Jouer à Carthage est certes un honneur pour nous mais nous avons aussi passé des moments inoubliables de communion avec notre public à Gafsa. Nous avons joué de la même manière qu’à Carthage, nous nous sommes donné à fond comme à chaque concert d’ailleurs.
Notre public est sacré indépendamment de ses origines et de sa classe sociale. Respecter notre public, c’est fondamental pour nous !
Est-ce que le piano est votre seul moyen d’expression ou est- ce que vous jouez d’autres instruments ?
Je joue du piano ou plutôt du multi-piano , j’ai une approche multiple du piano. Je n’ai pas un jeu qu’on a l’habitude d’écouter car j’essaye de m’aventurer et de faire ressortir des sons du piano que peu d’artistes font et d’exploiter toutes les ressources de cet instrument .Donc je peux me revendiquer percussionniste , joueur de luth avec mon piano.
Quels sont vos futurs projets, Rami Khalifé ?
Je travaille sur mon album « Lost » qui va sortir au mois de novembre. C’est un album de piano solo très personnel, qui parle de mon enfance et de mes souvenirs au Liban . Une tournée mondiale s’ensuivra et bien sûr nous allons continuer ce projet de trio avec une tournée européenne à l’automne, notamment dans les pays scandinaves. J’ai aussi un nouveau projet passionnant, un grand orchestre m’a commandé une pièce à écrire. Elle sera jouée au printemps prochain .
Enfin, j’ai travaillé avec un cinéaste sur un film muet. Le spectateur aura des images qui vont défiler avec la musique de mon album. Pas mal de projets qui sont menés de front .