En reconnaissant un certain nombre de droits à la femme et en les englobant dans un texte juridique, H. Bourguiba a transgressé plusieurs tabous dont la remise en cause était impensable en Tunisie avant le 13 août 1956.
Le seul tabou qu’il n’a pas osé transgresser est celui de l’héritage. Le problème était posé et la question débattue. Les religieux, déjà déstabilisés par l’audace de Bourguiba, étaient prêts à engager l’épreuve de force si jamais on touchait au droit du mâle d’hériter le double de la femme. Pour eux, le texte coranique est clair en matière d’héritage : à l’homme le double de la femme.
Bourguiba était en position de force, certes mais pas au point de tenir tête aux conservateurs sur une question où l’aspect religieux et les intérêts matériels sont si intimement entremêlés que l’imposition de l’égalité en matière d’héritage risquait de faire échouer le projet du Code du statut personnel dans son ensemble.
Sagement, Bourguiba avait reculé sur la question de l’héritage pour préserver la marge de manoeuvre qui devait lui permettre d’imposer les deux mesures les plus importantes et les plus urgentes: l’interdiction de la polygamie et la mise hors la loi de la répudiation.
Depuis, le Code du statut personnel n’a cessé de s’enrichir au fil des ans et la femme tunisienne n’a cessé de se distinguer dans le monde arabe, accumulant les acquis et faisant preuve de vigilance et de combativité pour les préserver contre toute remise en cause.
La plus grande tentative de remise en cause des droits des femmes accumulés sur 60 ans a eu lieu au temps de la Troika. Ennahdha, qui abhorre le Code du statut personnel, avait tenté de mettre à profit sa mainmise sur l’Etat pour engager un véritable travail de sape de ces acquis.
Le parti islamiste fut forcé de reculer face à l’imposante manifestation du 13 août 2013 où des dizaines de milliers de citoyens, femmes et hommes, avaient défilé côte à côte, signifiant leur refus absolu du projet obscurantiste.
62 ans après l’adoption du Code de statut personnel, la question de l’égalité homme-femme en matière d’héritage revient avec force et est débattue avec plus de passion que de raison par les opposants à ce dernier grand tabou et les partisans de son maintien. L’argument de ceux-ci est classique, éculé et usé jusqu’à la corde: le texte est clair et ne souffre aucune interprétation.
Il est favorable au mâle qu’il gratifie en matière d’héritage du double de ce qui revient à la femme. C’est Dieu qui le veut et par conséquent, l’homme n’a rien d’autre à faire que d’appliquer à la lettre les prescriptions divines.
Pour les défenseurs de l’égalité, il y a plein de prescriptions divines qui ne sont pas appliquées à la lettre. Elles ont été interprétées en fonction de l’évolution des moeurs et du développement culturel, politique, économique et social des sociétés.
Plusieurs prescriptions divines claires et précises dans le texte coranique concernant notamment le vol, l’infidélité conjugale ou encore la loi du talion ne sont plus appliquées dans la réalité depuis bien longtemps.
Des lois humaines ont pris le relais et appliquent à ces crimes des punitions très différentes de ce qui est dicté par le texte coranique. Alors pourquoi cette levée de boucliers dès qu’il s’agit de parler d’égalité en matière d’héritage?
Pour le cas d’espèce, il faut bien reconnaître qu’il s’agit moins du souci d’application strict du texte coranique que du souci bassement matériel et d’égoïsme conjugués au masculin pluriel.
La Tunisie a été pionnière dans bien des domaines, écornant tabous, idées reçues et traditions éculées. Elle a été pionnière dans le monde arabo-musulman en abolissant l’esclavage en 1845, en adoptant la première Constitution du monde arabo-musulman en 1861, en promulguant le Code du statut personnel en 1956 qui a fait l’effet d’un séisme de l’Atlantique au Golfe .
Elle a été pionnière en imposant l’égalité Homme-Femme en matière de marriage et de divorce, elle sera un jour pionnière en imposant l’égalité homme-femme en matière d’héritage.
Ce jour est proche parce que cette égalité est inéluctable.