«Vouloir, c’est pouvoir», telle est la devise dans la vie de Khadija Moalla consultante internationale senior en leadership, droits humains & droits des femmes, gouvernance et objectifs du développement durable. Pour ceux et celles qui ne la connaissent pas, Khadija Moalla croit beaucoup dans les valeurs d’intégrité et d’authenticité. Des valeurs que ses parents lui ont inculquées, et qu’elle essaye à son tour de transmettre à ses deux filles. La Journée nationale de la femme est célébrée le 13 août de chaque année. C’est l’occasion pour nous de faire le point avec une de ces femmes qui font la fierté de ce pays. Interview:
leconomistemaghrebin.com : vous sentez-vous concernée par le 13 août, si oui, de quelle façon?
Khadija Moalla: Le 13 août 1956 est une date essentielle dans notre mémoire collective en tant que Tunisien(es), et ceci m’a permis personnellement, de marcher toujours la tête haute, dans les 60 et quelques pays où j’ai été invitée à donner des conférences, sur les 5 continents. Le 13 août est le jour où la femme Tunisienne a senti qu’elle était citoyenne à part entière et qu’elle mérite de vivre dignement en tant que membre productif dans la société. En commémoration de cela et de tout ce qui a été fait depuis 1956, ce 13 août 2018, la femme tunisienne a rendez-vous avec l’histoire pour obtenir le dernier maillon de la chaîne: l’égalité dans l’héritage! Tout en sachant qu’au-delà d’une question de biens, l’égalité dans l’héritage est une question d’égalité, d’équité et de dignité. C’est la dernière bataille que ma génération doit gagner et offrir aux générations futures comme gage d’amour, d’engagement et de fierté d’être la génération qui a réussi à obtenir cette égalité.
Pensez-vous qu’il y a une régression dans les acquis obtenus par la femme Tunisienne à ce jour?
Non, je ne crois pas qu’il y ait une régression au niveau des lois, bien au contraire, depuis 1956, nous avons évolué dans le sens de plus de droits et de libertés. La régression s’est opérée au niveau des mentalités de certains hommes qui se sont sentis exclus ou qui ont cherché un bouc émissaire pour justifier leur échec. Les mouvements ou partis politiques qui ont fait de la religion, en l’occurrence, l’Islam, leur fonds de commerce, ont voulu attirer ces hommes qui sont au chômage et se sentent exclus…en leur vendant le mensonge que les femmes sont responsables de leur chômage car elles leur ont volé leur emploi. L’indépendance financière de la femme a exacerbé ces sentiments d’inutilité et d’insécurité ressentis par certains hommes. La régression culturelle s’est opérée à cause de ces personnes qui ont utilisé la religion comme un pont vers le pouvoir politique, mais qui détruiront ce pont à la première occasion, comme cela s’est fait dans d’autres pays…
La femme tunisienne se sent-elle en danger?
Dès mon jeune âge, j’ai toujours été convaincue que: « La vigilance était le prix de la liberté » et j’ai toujours été vigilante car je savais que malgré le fait que nous ayons bénéficié depuis le départ de presque 90% de nos droits, en tant que femmes, appartenant à la région Arabo-musulmane, il fallait rester vigilantes. L’Histoire a prouvé que j’ai eu raison car les fondamentalistes qui ne croient pas aux droits humains et en particulier, aux droits des femmes, ont commencé à les attaquer à la première occasion. La femme Tunisienne ne devra se sentir en danger que le jour où elle arrêtera de lutter pour ses acquis et pour ce qui lui manque en termes d’égalité et d’équité. Mais tant qu’elle lutte, tant qu’elle n’accepte pas qu’on insulte son intelligence en lui mentant par rapport à ce qui réellement dit dans la religion, comme par exemple lui faire croire que ses cheveux, sa voix… sont haram ou qu’elle n’a pas le droit de travailler ou qu’elle doit se prostituer avec les terroristes de Daech car cela fait partie de la guerre sainte… ; tant qu’elle lutte, elle ne sera pas en danger!
Les fondamentalistes ont beaucoup nuit à la femme Tunisienne et à son parcours de libération, mais comme elle a énormément à perdre, elle va continuer à lutter pour ses droits. J’espère que les femmes qui ont cru à leurs mensonges vont enfin se réveiller et réaliser le danger auquel elles ont accepté de s’exposer et d’exposer leurs filles et petites filles. Certaines le feront et d’autres malheureusement pas car l’esclavage mental est l’une des pires formes d’esclavage!
Comment définissez-vous la femme tunisienne?
C’est une femme à qui Bourguiba a offert d’être en avance de 200 ans ! Elle en a profité pleinement en prouvant qu’elle était capable, responsable, généreuse, patiente, persévérante, courageuse et intègre! Elle s’est concentrée sur sa famille et son travail en faisant confiance à l’Homme pour gérer la « Res Publica » ou la «chose publique». Or cet Homme a prouvé pendant ces dernières 60 années qu’il n’a pas su réellement gérer l’Etat en « bon père de famille » ! Maintenant, il est temps que la femme Tunisienne prenne les choses en main car il y a péril en la demeure! En «bonne mère de famille», un concept que je rajoute à nos enseignements juridiques, elle se doit de rassembler les patriotes hommes et femmes, jeunes et moins jeunes, afin de sauver la Tunisie des dangers qui la menacent et mettre fin à cette parodie de gouvernance et mascarade de justice, que nous vivons et démanteler les alliances mafieuses qui alimentent le capitalisme opportuniste.
Et moi je suis très sensible à la manière dont nous traitons les membres de notre famille, nos voisins, nos collègues et toutes les personnes que nous rencontrons dans notre vie. En fait, mon expérience de 30 ans, m’a permis de réaliser que nous nous ressemblons beaucoup, que nous soyons le Secrétaire Général des Nations Unies, Président d’un pays ou aide-ménagère, nous partageons le même rêve et objectif dans la vie, qui est celui d’offrir ce qu’il y a de meilleur à nos enfants et chacun d’entre nous doit avoir la possibilité de concrétiser son rêve.
L’urgence actuellement en Tunisie est de rétablir la confiance et réinstaurer l’espoir, afin que tout le monde se remette au travail et reconstruise les secteurs défaillants. La première mesure à entreprendre c’est une séparation claire et nette entre la religion et le système politique. ‘Pas de développement sans laïcité’ sera mon mot d’ordre et le leitmotiv de toutes les réformes à entreprendre sur tous les plans et à toutes les échelles!
Pour conclure, je voudrais partager mon optimisme sans limites vers un avenir radieux pour notre patrie. Nous sommes unis dans notre humanité et notre engagement à conduire notre pays vers la prospérité et la paix. Seule notre union et notresolidarité permettront à notre pays de s’en sortir et aux Tunisien(es) de reprendre confiance en eux-mêmes et en leur pays! Vive la Tunisie avec son Histoire millénaire, sa culture plurielle qui continuera à jouer son rôle pionnier en montrant le chemin de la liberté et des droits aux autres pays de la région.