Jinan Limam, enseignante universitaire à la Faculté des Sciences juridiques, politiques et sociales de Tunis, apporte son éclairage aux lecteurs de leconomistemaghrebin.com, sur la proposition de la COLIBE qui porte sur l’égalité successorale et la transmission de l’héritage, proposée par le Président de la République.
Notre interlocutrice a rappelé que le Président de la République s’est engagé à présenter un projet de révision de certaines dispositions du Code du statut personnel (CSP) portant sur la transmission de l’héritage, conformément aux propositions de la Commission des Libertés individuelles et de l’égalité (Colibe) sur ce point. Pour être adopté à l’ARP, ce projet de révision exigera la majorité absolue au sein de l’ARP puisqu’il s’agit d’une loi organique, fait-elle savoir.
Voici pourquoi le Code du statut personnel est devenu obsolète
Jinan Limam affirme que le Code du statut personnel est devenu obsolète et n’est plus conforme à l’esprit de la Constitution de 2014. «Cette réforme s’attaquera à l’un des derniers bastions du patriarcat au sein du CSP. En effet, le Code reste très conservateur en matière de transmission de l’héritage, en maintenant comme principe l’inégalité entre homme et femme», lance-t-elle.
A cet égard, elle ne manque pas de multiplier les exemples. «Tout d’abord, le cercle des successibles est plus large pour les hommes que pour les femmes (l’oncle, le neveu et le cousin peuvent hériter dans certains cas, cela est exclu pour la tante, la nièce ou la cousine se trouvant dans la même situation). De plus, les dispositions du code instaurent un privilège de masculinité; sauf cas exceptionnels, l’homme hérite d’une part double de celle de la femme placée dans la même situation. A titre d’exemple- et c’est le cas de figure le plus fréquent actuellement- le fils a dans la succession de ses parents le double de la part de sa sœur», argumente-t-elle. A cela s’ajoute que «cette discrimination en héritage est en contradiction avec les principes d’égalité et de non discrimination consacrés par la Constitution du 27 janvier 2014 et par les conventions internationales ratifiées par la Tunisie, notamment la CEDAW».
De plus, l’article 46 de la constitution indique clairement que l’Etat s’engage non seulement «à protéger les droits acquis de la femme», mais il doit également veiller «à les consolider et les promouvoir». Ainsi cette initiative législative visant à instaurer l’égalité complète dans l’héritage entre les hommes et les femmes s’inscrit dans cette perspective.
Notre interlocutrice rappelle que cette proposition laisse le choix aux personnes qui souhaitent garder pour leurs héritières le régime actuel, mais il faut que cela soit établi de leur vivant par un acte solennel. «Par conséquent, et malgré cette option, il y a une refonte radicale du droit des successions puisque le principe devient l’égalité entre l’homme et la femme; l’exception le maintien de la règle actuelle du code. Il s’agit d’une avancée dans l’affirmation à la fois du caractère civil de l’Etat et des droits humains, dans la perspective de l’égalité et de non discrimination.» Elle soutient qu’il s’agit aussi d’une évolution unique dans le monde arabo-musulman, en dehors de la Turquie qui a instauré depuis les années 20 sous le Président Atatürk l’égalité successorale entre les hommes et les femmes.
Transmission de l’héritage rime avec renforcement économique de la femme
Interrogée sur la question de savoir si en cas d’adoption cet article va garantir, sur le plan pratique, l’égalité successorale et la transmission de l’héritage sans problème, Jinan Limam rappelle que «des statistiques officielles et des études scientifiques se rapportant aux conditions socio-économiques des femmes en Tunisie attestent du taux très faible de l’accès des femmes aux ressources, telles que la propriété foncière, les crédits bancaires,… pour investir dans des projets. Ce constat s’applique aussi bien aux femmes vivant en milieu urbain qu’en milieu rural et il n’est pas sans rapport avec l’inégalité successorale. Celle-ci constitue en effet l’un des facteurs de la persistance des inégalités hommes-femmes sur le plan socio-économique».
La proposition de la COLIBE ne manque pas d’avoir des répercussions positives. «Cette réforme visant à instaurer l’égalité en héritage permettrait sur le plan pratique une amélioration du niveau de revenu des femmes et renforcerait le processus de leur autonomisation économique progressive; ce qui aurait un impact positif aussi bien sur l’économie que sur la citoyenneté en Tunisie.»
En conclusion, Jinan Limam soutient qu’il s’agit d’une question liée aux droits humains, mais également d’un enjeu économique de développement qui intéresse à la fois les hommes et les femmes.
Elle demeure confiante qu’il y aura certainement des résistances au nouveau régime successoral, mais qu’elles seront progressivement surmontées sous l’effet de la prise de conscience des dynamiques sociétales et des changements économiques en cours qui convergent vers l’importance croissante de la contribution économique des femmes au sein de leur famille.