On a beau essayer de relativiser ce que nous Tunisiens constatons et endurons d’année en année, rien n’y fait. Une dégradation à plusieurs dimensions a atteint son summum dans ce pays où « il faisait jadis bon vivre ». Ni les protestations, ni les avertissements, ni les conseils n’ont eu d’écho auprès des sourds qui tiennent les commandes de l’État! «Il n’est pire sourd que celui qui ne veut pas entendre», dit-on.
On peut convenir, par sens de la mesure, qu’il n’est pas envisageable d’avancer de façon rectiligne dans la conduite des affaires publiques, ou plus rapidement, qu’on doit prendre en compte plusieurs contraintes et des facteurs extra-rationnels dont on ne saisi pas totalement les tenants et les aboutissants, tellement ils forment dans le paysage politique tunisien, bien plus qu’ailleurs, une masse obscure qui intrigue les mieux intentionnés.
Nous n’avons plus à faire avec ces «accessoires» habituels des politiciens, comme l’art du compromis, le sens tactique, l’adaptation aux circonstances, la capacité à composer, à «ondoyer» même… On a basculé dans l’aberration la plus cynique et ses errements !
Dans un pays qui traverse la crise la plus préoccupante de son histoire depuis 1881, date de l’avènement du protectorat, cette désinvolture dévastatrice est catégoriquement et résolument intolérable. L’imposture actuelle, pratiquée par des personnages atteints de nullité, surtout au plan de l’intégrité morale, est une mystification préméditée relevant de l’abus de confiance et de l’abus sur le pouvoir.
La conséquence a été de détourner les citoyens écœurés de la chose politique, tant ceux-ci se sentent floués par tant de promesses régulièrement trahies. La responsabilité de cette imposture incombe aussi aux électeurs, aux abstentionnistes et aux exclus du vote jetés dans les oubliettes, aux embryons de citoyens, coupables de crédulité.
Mais la résistance se pose et s’impose plus que jamais.
Il n’empêche que les imposteurs ont désormais la cote dans le domaine politique où on touche l’apogée de l’imposture qui fusionne carrément avec l’escroquerie et le charlatanisme, dans les administrations, sur les plateaux de télévisions, dans certains médias électroniques et papiers, dans les circuits économiques formel et informel…
Ces individus profitent de la naïveté ou de la cupidité d’une catégorie de Tunisiens pour prospérer. Des régiments d’imposteurs se propagent comme le chiendent, le plus invasif et le plus honni des jardiniers. Ce n’est pas que le règne des prédateurs (Les Nouveaux Prédateurs, Editions Berg – 2014) soit révolu, au contraire la fameuse «combinazione» d’août 2013, entre deux parrains, n’a fait qu’ajouter l’imposture à la prédation! Le dindon de la farce peut toujours faire semblant de se rebiffer de temps à autres, pour sauver la face et amuser la galerie, les jeux sont faits, rien ne va plus.
De surcroît, cette déficience pernicieuse des politiciens qui tiennent les commandes, par un accident de l’Histoire, expose le pays à la convoitise des puissances étrangères et aiguise leurs velléités d’ingérence. On observe avec exaspération et colère cet empressement obséquieux des flagorneurs, alignés à la queue leu leu, pour serrer la pince à un ambassadeur dans sa résidence et lui faire des courbettes avilissantes. Ce ramassis de félons ahuris serait disposé à nuire aux intérêts essentiels de la Tunisie pour des promesses perfides, une protection ou un soutien toxique. Quelle confiance leur accorder ! Quelques plénipotentiaires prennent leurs aises, en se permettant de se conduire comme dans un pays sous occupation, ne cessent d’attiser l’irritation des Tunisiens face à leurs impudentes simagrées.
Faut-il souligner encore que nous subissons une politique appauvrie et stérile, sans assises ni répondants, d’une texture décrépite, ancrée dans le déficit de tout. C’est une politique fragile et sans socle, entraînant une évaporation de toute vie unificatrice, qui ne vaut que par les gesticulations, la démagogie, les verbiages et les vociférations. Elle finira par entraîner de manière inopinée un retour de flamme avec l’apparition d’une sorte d’espace public de plus en plus «ombrageux», au cœur de la crise et de l’urgence.
La conflictualité entre gouvernants et gouvernés s’intensifiera, elle ressurgira plus violente à la faveur de cette détérioration que les tenants du pouvoir s’avèrent incapables de juguler. La politique du réel s’imposera par le biais le plus inattendu, devant la saturation des subjectivités et des discours, dans le temps même du désastre, face à la débâcle d’un pouvoir sans capacité de protéger la population.
Quant à l’actuel chef de Gouvernement, il serait bien inspiré de clarifier certaines étapes de son parcours et de se prononcer clairement sur certaines questions essentielles pour ne pas accroître les appréhensions des Tunisiens sur sa personne en tant qu’éventuel candidat :
– Il est capital qu’il élucide sa position sur la commercialisation et l’utilisation de la «biotechnologie» (les OGM et les pesticides) dans le domaine de l’agriculture en Tunisie et s’il prône vraiment la nécessité de la libéralisation totale du secteur de l’agriculture en Tunisie en permettant aux investisseurs étrangers de posséder des terres agricoles;
– Il doit expliquer et justifier les vraies raisons de son engagement le 24 avril 2018 à Bruxelles de signer l’accord ALECA en 2019, en sachant ce que cet accord, dans sa formulation actuelle, représente comme dangers au secteur agricole et des services notamment;
– Il lui est recommandé de s’engager solennellement pour garantir et sauvegarder les libertés fondamentales (liberté physique contre les arrestations arbitraires, respect de la vie privée et familiale, propriété privée…) et les libertés politiques (liberté de culte, d’expression, d’association…) qui sont menacées (disons par son entourage) et par d’autres protagonistes dont Ennahdha?
– Quant à l’islamisme politique et aux manœuvres ininterrompues, tous azimuts, de la branche locale des frères musulmans, il lui est réclamé de poursuivre les sources de financement illégales et assainir les mosquées et les associations dites caritatives.
Les réponses doivent être franches, sans fioritures ni sophisme ou tentative de «noyer le poisson».
Dans tout ce tohu-bohu, quelques nostalgiques rongés par la moisissure novembriste espèrent voir réémerger de la fange une figure exécrée dans un mouvement de retour pour rétablir le paradis sur la terre de Tunisie! Ils ignorent que l’Histoire ne va pas à reculons.
Sans être de doux rêveurs, l’espoir demeure indispensable à notre résilience, dans cette situation. Il est notre force de résistance face à toutes les impostures. L’espoir est un moteur, à condition que les Tunisiennes et les Tunisiens ne restent pas dans l’expectative, ils se doivent de participer à ce processus de l’espoir. La politique du vrai viendra sans doute à l’heure des plus grands périls, portée par des acteurs plus intègres et plus loyaux à l’égard de ce pays et de son peuple. Viendra le jour où le citoyen pourra cultiver son avenir sur le terreau de la paix civile, bénéficier d’une vie publique immunisée de tous ces imposteurs et ces démagogues.