La crise entre l’Arabie saoudite et le Canada, qui couve depuis 2012, a fini par éclater au début de ce mois d’août provoquant une rupture pure et simple entre les deux pays. Relations diplomatiques rompues, contrats commerciaux et d’investissements annulés, liaisons aériennes suspendues, étudiants et patients saoudiens invités par les autorités de leur pays à quitter le Canada et à aller étudier et se faire soigner ailleurs…
La virulence de la réaction saoudienne fait penser à quelque grave initiative canadienne qui aurait mis en danger les intérêts supérieurs du royaume wahhabite. En fait, il n’en est rien. Le ministère des Affaires étrangères à Ottawa a simplement émis le vœu que les autorités saoudiennes respectent les droits de l’Homme et libèrent Raef Badaoui, emprisonné depuis 2012 pour avoir osé réclamer sur les réseaux sociaux un peu d’ouverture et de liberté dans son pays.
La crise a commencé à couver entre les deux pays dès le jour où la femme de Raef Badaoui et ses trois enfants ont réussi à se réfugier au Canada où, avec l’aide d’organisations de la Société civile canadienne, elle a entamé une campagne pour la libération de son mari.
Ce n’était pas pour plaire aux autorités saoudiennes qui ne pouvaient alors rien faire du moment où le gouvernement canadien gardait un silence gêné, ne pouvant ni critiquer l’Arabie saoudite ni s’opposer à la campagne de libération des opposants saoudiens.
Le royaume wahhabite sortit de ses gonds le jour où, sous la pression de la société civile canadienne, la nouvelle ministre des Affaires étrangères, Chrystia Freeland, exprima enfin la « grave préoccupation » du Canada après l’arrestation d’activistes saoudiens et appela Riyad à « les libérer immédiatement ainsi que tous les autres activistes pacifistes des droits humains ».
C’était suffisant pour que l’Arabie saoudite, qui ruminait depuis 2012 un fort ressentiment contre le Canada, se déchaine contre ce pays et prenne des mesures de rétorsion totalement disproportionnées par rapport à la cause futile qui les a déclenchées.
Selon beaucoup d’analystes, la virulence avec laquelle les autorités saoudiennes ont réagi est un message adressé aux pays avec lesquels l’Arabie saoudite entretient d’importants rapports économiques et commerciaux, les mettant en garde contre toute tentative de s’immiscer dans sa politique intérieure, et en particulier dans le dossier des droits de l’Homme sur lequel l’Arabie saoudite a fini par développer une hypersensibilité et une susceptibilité à fleur de peau.
On aurait compris ce souci de se préserver de toute tentative d’immixtion dans leurs affaires intérieures de la part de pays qui, comme la Suède ou la Norvège par exemple, ne mettent jamais leur nez dans les affaires des autres. Mais de la part de l’Arabie saoudite, cela tourne carrément à la schizophrénie.
L’Arabie saoudite ne se contente pas de mettre son nez dans les affaires des autres, mais, depuis la commercialisation de sa manne pétrolière, elle a utilisé des dizaines de milliards de dollars pour financer ses ingérences qui, avec la complicité du protecteur américain, visaient la déstabilisation de pays considérés comme ennemis communs à Washington et Ryadh.
Est-il nécessaire de rappeler ici que les milliards de pétrodollars saoudiens qui ont servi à financer le jihadisme wahhabite et à armer ses créatures terroristes ont joué un rôle déterminant dans la défaite cuisante de l’Union soviétique en Afghanistan en 1988, prélude à son effondrement trois ans plus tard ? Si le Canada se contente aujourd’hui de critiquer la politique saoudienne en matière de droits de l’Homme, l’Arabie saoudite ne s’était pas contentée de s’ingérer dans les affaires de l’URSS par les discours ou les communiqués de presse, mais par l’engagement zélé auprès de son protecteur américain dans le projet hautement stratégique de destruction de l’ancien empire soviétique.
Est-il nécessaire de rappeler encore les ingérences destructrices de l’Arabie saoudite en Irak, en Syrie, en Libye et ailleurs ? A-t-on oublié les milliards de pétrodollars dépensés dans la construction de mosquées dans les quatre coins du monde, non pas pour diffuser l’islam, mais la pensée wahhabite, génératrice de ce terrorisme sanguinaire qui ensanglante la planète depuis des décennies ? Et malgré tout cela, le royaume wahhabite se permet d’entrer dans une colère noire parce que le Canada a osé parler de violations des droits humains en Arabie saoudite !!!
En fait, la réaction virulente contre le Canada s’explique par l’intensité des frustrations, des déceptions et des échecs accumulés par la politique étrangère malavisée et irrationnelle suivie depuis des années par l’Arabie saoudite. Cette politique s’est avérée un fiasco total en Irak et en Syrie. Elle s’est avérée catastrophique au Liban dont la séquestration du Premier ministre Saad Hariri pendant des semaines à Ryadh non seulement n’a servi à rien, mais a fait de l’Arabie saoudite la risée du monde.
Même en Malaisie et au Pakistan, les échecs saoudiens sont patents. L’ancien Premier ministre malaisien Najib Razak, allié de l’Arabie saoudite depuis des décennies, fait l’objet d’un procès retentissant pour corruption. Même chose au Pakistan où l’ancien Premier ministre Nawaz Charif, très proche de Ryadh, est derrière les barreaux pour corruption également.
Faut-il s’étonner qu’après une telle accumulation d’échecs hautement frustrants, l’Arabie saoudite développe une hypersensibilité à la critique et une susceptibilité maladive qui lui fait prendre une simple invitation à respecter les droits de l’Homme pour une grave ingérence mettant en danger les intérêts vitaux du pays ?