Francis Estrada est un Américain installé depuis 2010 en Tunisie. Ayant vécu en Tunisie quelques années étant petit, il en a toujours gardé de très bons souvenirs. C’est un amoureux de l’Afrique et de la Tunisie en particulier. Depuis 2010, il exerce le métier de consultant en affaires et en sécurité . «L’Afrique, j’ai visité plusieurs pays du continent. Certains avant un coup d’état et d’autres après», m’avait-il confié. Interview avec Francis Estrada.
leconomistemaghrebin : pouvez-vous vous présenter et nous parler de votre parcours professionnel?
Francis Estrada :
Je viens de Seattle, Washington, aux États-Unis. J’ai étudié la justice pénale et la gestion d’entreprise au Bellevue College.
Aux États-Unis, j’ai servi dans l’armée américaine pendant quatre ans, puis j’ai exercé pendant 14 ans comme officier de police au département de police à Seattle.
Ensuite en 2010, un concours de circonstances m’a amené en Afrique et précisément en Tunisie. J’ai eu la chance d’assister à la révolution tunisienne. Un moment unique pour ce pays que j’adore.
Juste après, de 2011 à 2013, j’ai travaillé pour la BAD (Banque africaine de Développement), en tant que consultant en sécurité sur le plan logistique.
Mon travail consistait à gérer les problèmes de sécurité physiques et intellectuels de la banque. Je devais protéger le personnel de la banque, ainsi que les consultants en visite et les informations bancaires sensibles.
Malheureusement pour moi, la banque a déménagé en Côte d’Ivoire en 2013 et je n’ai pas voulu les suivre. Car je venais de me marier et je voulais passer le plus de temps possible avec ma femme et ma famille en Tunisie.
Ainsi, j’ai dû changer de travail et depuis je travaille pour une entreprise américaine, la Subsaharian solutions, spécialisée dans le conseil en sécurité.
Et en quoi consistait votre dernier travail à la « Subsaharian Solutions »?
Ce sont des sociétés qui cherchaient soit à se développer, soit à créer une entreprise en Afrique. Je faisais les évaluations de sécurité pour leur dire si le climat des affaires était bon ou mauvais. Et s’ils avaient déjà une entreprise implantée, je devais leur donner des recommandations.
Chaque client est différent et a des exigences différentes. Mais c’était intéressant de visiter plusieurs pays d’Afrique et d’apprendre de nouvelles cultures. J’en ai visité à peu près 20. C’était vraiment une belle expérience pour moi.
Bien évidemment, ce qui m’a marqué le plus en Afrique, c’est la pauvreté et la disparité des revenus entre les plus pauvres et les plus riches. C’est triste de voir cela. En ce moment, je travaille encore pour cette entreprise, mais je voyage moins souvent.
Quel pays africain vous a le plus impressionné?
L’un de mes pays préférés est l’Éthiopie. Il a connu un énorme boom financier au cours des dernières années. Mais j’étais là avant que tout cela commence. C’est impressionnant! J’aime visiter l’Éthiopie, car là-bas le service est de qualité et les employés ont toujours un mot gentil pour vous. Dans la plupart des pays où je suis allé en Afrique, vous ne pouvez pas imaginer la qualité des services. Outstanding!
Au Maghreb est-ce différent?
J’ai visité tous les pays du Maghreb. Au Maroc, le service est bon. La Tunisie n’est évidemment pas comme cela. Cette culture du service n’existe pas, les employés sont moins consciencieux.Mais je crois que c’est en train de s’améliore surtout avec l’afflux de nouvelles entreprises et le changement de mentalité.
L’Egypte, c’est entre le Maroc et la Tunisie. Au Maroc, ils savent que s’ils ne font pas leur travail, ils seront licenciés et plus les clients seront satisfaits, plus le pourboire sera élevé.
Pensez-vous que c’est notre éducation, notre mentalité ou notre vision du service qui doit changer?
Je pense que ce sont les deux.
Regardez la façon dont les gens conduisent en Tunisie. Est ce que c’est une mentalité de brûler les feux rouges? C’est juste parce qu’il n’y a pas de police pour faire respecter la loi.
Si les Tunisiens savaient qu’ils seraient punis, ils ne conduiraient pas comme cela. Donc c’est une éducation à avoir dès le plus jeune âge. Pour le secteur des services, il faut de la rigueur et pas du laisser-aller car les clients le voient. Vous savez j’entends beaucoup les Américains dire en Tunisie: «La nourriture était bonne, mais le service est nul, donc je n’y retournerai pas.»
Enfin, ces deux dernières années, j’ai eu des projets qui n’ont pas abouti car les clients ne voulaient pas investir en Tunisie.
Honnêtement, c’est difficile de faire des affaires ici. Pour ce qui est de la réglementation, essayez de poser la même question à trois personnes différentes, vous obtiendrez trois réponses différentes. Et c’est comme ça pour tout ici. C’est frustrant pour des entreprises américaines de ne pas avoir une réponse claire et précise. Nous sommes rationnels.
Pensez-vous que si nous changions notre réglementation, les Américains pourraient venir investir ici?
Je pense que oui. Aujourd’hui, le processus est très lent. Pour s’installer en Afrique, une entreprise américaine va analyser les coûts et le temps pour le démarrage d’une entreprise ainsi que les profits qu’elle va faire. Ici, les frais de démarrage sont plus importants que dans d’autres pays.
La Tunisie est un pays magnifique qui a beaucoup à offrir. Il est calme et sécurisé, mais si vous pouvez doubler vos profits ailleurs, vous le faites.
C’est dommage parce que la Tunisie a de bonnes bases. De bonnes infrastructures et un niveau académique élevé. Il suffit de rationaliser certaines choses. L’avenir est très prometteur pour la Tunisie.
Et pour conclure ?
Je dirais que la plus grande frustration que je vois en Afrique, c’est que les gens n’ont souvent aucune chance de réussir par manque d’opportunités et de moyens financiers.
Il semble aussi que les Africains ont cessé de rêver ou n’ont même pas commencé. Donc, si vous pouviez donner aux gens plus de chances de réussir et l’opportunité de rêver d’un meilleur futur, ce serait mieux pour tous.