Béchir Boujday, membre du Bureau exécutif au sein de l’UTICA et de la Commission sociale, a bien voulu nous accorder cette interview. Il a exposé sa vision à propos des négociations sociales, à savoir augmentations salariales contre productivité et les chiffres réalisés par l’entreprise. De même, il expose ses attentes à propos de la loi de finances 2019.
leconomistemaghrebin.com : Comment les entreprises, notamment les PME, ont-elles réagi à l’accord qui porte sur les augmentations salariales dans le secteur privé étant donné que les PME tunisiennes passent par une conjoncture difficile ?
Béchir Boujday :
La plupart des entreprises ont reçu positivement l’accord sur les augmentations salariales. Elles considèrent que c’est un bon accord qui favorise la paix sociale, même s’il alourdira davantage les charges de l’entreprise. En effet, l’entreprise ne peut se permettre de refuser des augmentations salariales, notamment dans les conditions actuelles. Je rappelle également que cette dernière n’est aucunement responsable de la hausse de l’inflation et encore moins de la dépréciation du dinar, ainsi que de la surcharge de ses coûts. Tout cela est indépendant de sa volonté. Cependant, les PME sont sensibles aux problèmes du citoyen et à la cherté de la vie et à tout ce que nous sommes en train de vivre. Nous avons fourni un effort lors de ces négociations sociales et nous pensons quand même avoir gagné en retour la paix sociale.
De toute façon, il s’agit d’augmentations dans le cadre de conventions collectives. Les augmentations que nous accordons dans le cadre de conventions collectives représentent des minima. Les entreprises qui connaissent un développement assez important ont la possibilité de donner plus. Et celui qui peut le moins peut le plus. Certaines entreprises vont connaître des difficultés et elles se situent dans un marché, qui est heureusement ou malheureusement, ouvert. Donc elles ne peuvent ignorer l’aspect social.
Nous essayons d’asseoir, avec nos partenaires et amis de l’UGTT, ce genre de révision sur des indicateurs économiques qui se rapportent beaucoup plus à la pérennité, à la santé, au climat et au développement de l’entreprise, mais également à son climat d’affaires. Toute entreprise privée se doit de générer un profit pour pouvoir donner. On ne peut pas donner généreusement sans rien recevoir en retour, sinon c’est la faillite. C’est pourquoi, la rentabilité demeure un facteur essentiel et incontournable. En fait, une majoration des salaires devrait être indexée sur la productivité et le bénéfice réalisé. Mais, malheureusement, c’est loin d’être le cas. Donner sans recevoir, c’est signer la fin de la PME.
Lors des négociations sociales, on n’a pas entendu parler de productivité parmi les critères des augmentations…
Production et productivité sont les maîtres-mots au sein de l’UTICA. Pour nous, il est hors de question de tabler sur une augmentation sans tenir compte de la production et de la productivité.
En effet, c’est un problème très complexe. Pour cette raison je vous dis, si un jour on arrive à mettre en place une formule de révision presque automatique sur des indicateurs chiffrables, raisonnables et clairs qui sauvegardent les intérêts de toutes les parties, ce serait gagné. Cela éviterait les séances de négociations parfois houleuses qui provoquent des accrochages.
Heureusement, ce n’était pas le cas lors des négociations sociales. Nous avons travaillé dans le respect mutuel avec nos partenaires et chacun a présenté ses arguments et la partie qui était en face les recevaient correctement.
Il n’empêche, le système de rémunération du travail doit être remis en cause. Mais cela n’est pas un travail d’une année ou de deux. Il faudrait, peut-être, avancer et engager toutes les parties dans cette perspective. Il faut créer ensemble de la richesse pour pouvoir plus tard la distribuer.
Ce que l’employé défend est l’indice de la cherté de la vie. Si on arrive à s’entendre sur cet indice, à ce moment-là on peut s’entendre et raisonner dans un sens bien précis.
L’inflation nous est imposée à tous, la dépréciation de notre monnaie également. D’un autre côté, il faudrait que l’entrepreneur puisse avoir en contrepartie un minimum de sécurité fiscale pour pouvoir avancer. C’est pourquoi, il faudrait pouvoir chiffrer la productivité.
Pourquoi la centrale patronale ne communique-t-elle pas sur cette proposition auprès de l’UGTT avant les prochaines négociations sociales ?
Sur le plan théorique nous ne faisons que cela. Une fois les négociations achevées,on classe le dossier et on attend les prochaines négociations. Mais ce serait très intéressant d’engager le débat sur cette base là.
En fait, la réalité est tout autre. L’UTICA discute avec l’UGTT sur la production et la productivité depuis l’époque de Mohamed Mzali, mais ça reste à l’état de vœu pieux. La notion de productivité est en effet une culture avant tout. Mais pour la chiffrer ce n’est pas évident. Ça se passe au niveau sectoriel et de chaque entreprise. Un travail constructif, d’imagination et de collaboration doit être fait. Donc nous participons avec nos amis de l’UGTT à des séminaires dans ce sens au niveau national et international.
Certes, il existe des propositions. Mais leur mise en application au niveau de notre système actuel des salaires est loin d’être évidente.
Il convient d’évaluer les répercussions de la loi de finances 2018 sur les entreprises en difficulté…
La loi de finances 2018 a eu de graves répercussions sur l’entreprise. L’ouverture du marché aux produits étrangers et la facilitation des avantages des opérations commerciales ont causé du tort au tissu industriel.
Tout cela a été aggravé par un manque évident et réel de lutte concrète contre le marché parallèle et de la contrebande. Pour moi la loi de finances, c’est plus une question de trésorerie où il y a des recettes et des dépenses. De plus, le gouvernement se laisse aller à des dépenses sans tenir compte des recettes réelles. On se bat pour le réajustement de certaines taxes et impôts, on crée de nouvelles taxes, alors qu’une véritable loi de finances doit être axée, entre autres, sur la lutte contre le marché parallèle. Il y a des choses qui ont été faites certes, mais on ne voit pas d’actions concrètes.
Quelles sont donc vos attentes par rapport à la loi de finances 2019 ?
Déjà le Chef du gouvernement a pris un certain nombre d’engagements : pas de nouvelles taxes et pas de surcharges. Accordons-lui un préjugé favorable. Mais, comme toujours, le gouvernement ne dit pas tout en rapport avec la loi de finances 2019.
Nous avons présenté des mesures concrètes pour lutter contre la contrebande et le marché parallèle, pour élargir l’assiette de la TVA, pour réduire réellement l’écart de prix entre la marchandise fabriquée localement avec son cortège de taxes et impôts face à une marchandise importée vendue en « hors taxes » au vu et au su de tout le monde sur les marchés.
Avant tout, nous avons besoin d’un engagement. Car jusqu’à présent, il n’existe aucune déclaration qui criminalise le marché parallèle et la contrebande. On ne sent pas encore une volonté au niveau des trois présidences et des partis de comprendre que le marché parallèle est la maladie de l’économie. C’est aussi un risque pour l’emploi de la jeunesse et la cause d’une désindustrialisation rampante.