La transition démocratique en Tunisie reste confrontée à une série de défis qui engagent l’avenir même de cette expérience historique. L’absence d’un pouvoir majoritaire clair, un système de partis éclaté, une tension latente entre les deux têtes de l’exécutif, une fébrilité gouvernementale qui affecte l’autorité de l’Etat… Bref, les premières années de la Seconde République n’ont pas encore permis de stabiliser l’ordre institutionnel et politique qui résulte de la nouvelle Constitution et des élections législatives libres et pluralistes.
Cette situation d’ensemble contraste avec l’apparente solidité et stabilité de la Ve République en France, qui vient de célébrer (le 4 octobre dernier) son 60ème anniversaire. Pourtant, derrière cette façade, le régime politique français est en crise. Une leçon à méditer pour le régime tunisien…
Soixante ans après sa naissance en pleine guerre d’Algérie, la Ve République est toujours en vie. Un miracle au regard de notre histoire politique.Depuis la Révolution de 1789, aucun des régimes expérimentés jusqu’en 1958 n’est parvenu à bâtir un équilibre institutionnel durable.
La France a connu alternativement des monarchies (1789-1792, 1814-1848), deux empires (1804-1815, 1852-1870) et cinq Républiques, ainsi que diverses formes de gouvernement à la nature plus difficilement identifiable. La richesse de cette expérience constitutionnelle se vérifie également au regard de la typologie des régimes politiques pratiqués.
La Ve République : un régime taillé sur mesure
Taillée à la mesure du général de Gaulle, la Constitution de 1958 lui a survécu. En fêtant son cinquantenaire, elle a ainsi conforté son titre honorifique de « vice-doyenne » des constitutions françaises. Une longévité qui témoigne de la capacité d’adaptation de la Loi fondamentale, de ses organes constitutionnels et de ses acteurs politiques.
En sus de sa permanence, la Constitution de 1958 aurait donné à la France un régime politique et institutionnel stable, structuré et relativement solide. Il a su surmonter toutes les difficultés auxquelles il a été confronté, dont la décolonisation algérienne (1958-1962), la démission du « Père-fondateur » ou « figure tutélaire » (1969), le décès d’un président de la République en exercice (1974), l’alternance politique (1981), des périodes de « cohabitation » officielles (1986-1988, 1993-1995, 1997-2002) ou officieuses (1974-1976, 1988-1991). De tels événements politiques auraient pu emporter nombre des régimes qui ont jalonné notre histoire.
La dérive présidentialiste de la Ve République
Non seulement la dérive hyper-présidentialiste sape le principe même de séparation des pouvoirs, mais le régime fait face à une défiance citoyenne qui ne cesse de croître. Au point que sa nature véritablement démocratique interroge.
L’organisation et le fonctionnement des pouvoirs constitués sont encadrés par des règles constitutionnelles structurées autour du principe de séparation des pouvoirs. Placée au centre du constitutionnalisme libéral, la séparation des pouvoirs est conçue comme un instrument de limitation du pouvoir et de lutte contre l’absolutisme. Or, ce principe de séparation des pouvoirs est consacré par la Déclaration de 1789 (et revêt par conséquent une valeur constitutionnelle). La pratique institutionnelle de la Ve République correspond à un véritable régime de confusion des pouvoirs en faveur d’un seul : le président de la République.
Cette évolution institutionnelle s’est doublée d’une dévalorisation du Parlement dans l’exercice de ses traditionnelles fonctions législatives et de contrôle. Le Gouvernement ne dépend plus de sa majorité parlementaire, mais lui impose ses décisions. Le Parlement est devenu ainsi une simple chambre d’enregistrement de décisions prises à l’Elysée.
La Ve République à l’heure Macron
Depuis l’élection à la présidence de la République de celui qui se rêve à la fois « Jupiter » et « maître des horloges », on assiste moins à un renouveau de la pratique des institutions de la Ve République qu’à une illustration caricaturale de la logique présidentialiste. Ainsi se confondent concentration et centralisation du pouvoir à l’Élysée, appui de l’action politique/publique sur une technocratie issue de la haute fonction publique, neutralisation de la fonction du Premier ministre, dévalorisation du Parlement avec un fait et une discipline majoritaires poussés à l’extrême, une opposition méprisée, etc.
Au-delà des déséquilibres structurels inhérents à la dérive présidentialiste du régime, notre crise démocratique est marquée par un triple déficit d’efficacité, de représentativité et d’exemplarité du pouvoir politique. Un triptyque qui nourrit l’avènement d’une « démocratie de la défiance », laquelle se matérialise notamment par une montée continue de phénomène abstentionniste (auquel résiste encore en partie l’élection présidentielle).
Malgré la tendance à la banalisation de cet acte de défiance que représente l’abstention électorale (auquel il convient d’ajouter l’affirmation du « vote blanc »), celle-ci porte en elle un signe de rupture au sein même de notre contrat/corps social…