Disparu ? Kidnappé ? Assassiné ? Trois questions sur le sort du journaliste saoudien Jamal Khashoggi restées jusqu’à ce jour sans réponse. Et il est à craindre que le mystère durera encore, malgré la remarquable mobilisation internationale pour exiger l’éclaircissement de l’affaire.
Il faut savoir tout d’abord que Jamal Khashoggi faisait partie de l’establishment saoudien pour avoir été très proche de la famille régnante. Il a exercé le poste de conseiller auprès de certains de ses membres. La détérioration progressive de la relation qui le liait à la famille régnante a commencé avec l’arrivée au pouvoir de Mohammed Ibn Salman. Il est devenu un critique acerbe de sa politique et notamment de sa décision désastreuse de s’engager dans la guerre contre le Yémen.
La peur pour sa sécurité a poussé le célèbre journaliste de choisir l’exil volontaire aux Etats-Unis. De là il a continué son travail de journaliste et d’analyste critique de Mohamed Ibn Salman. Ses critiques ont porté sur la mainmise du jeune et inexpérimenté Mohammed Ibn Salman sur le pouvoir de décision au royaume wahhabite.
Khashoggi et la Turquie
La présence de Khashoggi en Turquie s’explique, selon des sources concordantes, par la nécessité de procéder à des démarches d’état civil au consulat de son pays à Istanbul, en vue de se marier avec sa fiancée turque. Ayant pris rendez-vous au consulat, il s’y était rendu le mardi 2 octobre. Il était inquiet et redoutait quelque chose car, selon la presse turque, avant d’entrer, il a confié son portable à sa fiancée. Il lui a demandé de l’attendre devant le consulat et s’il tardait à en sortir, elle appellerait le conseiller du président Erdogan…
Depuis le 2 octobre, la presse et l’opinion mondiales s’interrogent sur le sort de Jamal Khashoggi. Les deux pays concernés, la Turquie et l’Arabie saoudite, ne cessent de se lancer la responsabilité de la disparition du journaliste. Celle-ci a affirmé que Khashoggi est effectivement entré au consulat où il a effectué ses démarches d’état civil et il est reparti. Et celle-là rétorque qu’effectivement il est entré au consulat, mais n’en est jamais ressorti.
En Turquie, c’est Erdogan lui-même qui a pris l’affaire en main et qui somme les autorités saoudiennes de fournir la preuve que Khashoggi a quitté le consulat. Et celles-ci, sans fournir la moindre preuve, soutiennent avec insistance qu’il a quitté les locaux de la représentation diplomatique. Elles lancent la balle dans le camp des autorités turques, sommées d’assumer leur responsabilité et de dévoiler le sort du disparu…
Quelle relation a Khashoggi avec Mohamed Ibn Salman
La police turque est allée très loin en mettant en avant l’un des scénarios les plus macabres que l’on puisse imaginer. Selon elle, Khashoggi aurait été « assassiné, découpé et emporté en morceaux hors du consulat ». Cet effrayant scénario est trop disproportionné par rapport à la nature du danger que poserait le journaliste saoudien pour la stabilité du royaume wahhabite. Et puis quel danger pour le régime saoudien peuvent poser un article écrit dans le Washington Post ou une analyse critique de Khashoggi dans une télévision étrangère dont un Saoudien sur 1000 pourrait avoir connaissance ?
La disparition du journaliste saoudien n’a rien à voir avec un danger imaginaire qu’il poserait pour son pays. Mais d’aucuns supposent qu’elle pourrait avoir un lien avec la personnalité coléreuse, intolérante et revancharde du jeune prince héritier. Les critiques de Khashoggi se concentraient essentiellement sur les décisions chaotiques et irrationnelles de Mohammed Ibn Salman. Ce qui pourrait avoir pour effet une forte exacerbation du ressentiment et un désir de le faire taire. Les défenseurs de cette thèse mettent en avant le caractère impulsif, irréfléchi et imprudent du prince héritier. Caractère démontré avec fracas lors de la séquestration du Premier ministre libanais Saâd Hariri…
Khashoggi a-t-il payé de sa vie ?
Quoi qu’il en soit, et quelle que soit l’issue, tragique ou heureuse, que prendra l’affaire Khashoggi, elle aura contribué à compliquer encore plus la crise larvée qui oppose Riyad et Ankara. L’Arabie saoudite ne pardonne pas à Erdogan le soutien indéfectible qu’il offre à la nébuleuse terroriste des Frères musulmans et son alignement du côté du Qatar dans le conflit qui l’oppose à ce pays.
De son côté le président turc ne pardonne pas à l’Arabie saoudite d’avoir mis la confrérie islamiste dont il fait partie sur la liste des organisations terroristes. Et surtout d’avoir aidé le général Abdelfattah Sissi à expulser les « Frères » du pouvoir en Egypte, leur infligeant ainsi la « plus grande catastrophe stratégique » dans l’histoire de la Confrérie.
La haine et le ressentiment que se vouent les régimes de Riyad et d’Ankara sont si tenaces que l’affaire Khashoggi ne fera que les exacerber davantage.