Le 5 novembre, l’administration américaine devrait annoncer que toute entreprise dans le monde faisant des affaires avec l’Iran, achetant du pétrole, finançant des projets ou investissant dans le pays sera interdite d’activité aux États-Unis et ne pourra pas faire des transactions en dollar.
Seulement, il y a cette affaire Khashoggi qui vient au pire moment pour Trump qui attend impatiemment cette date pour tenter d’étouffer la République islamique et envoyer les Iraniens manifester dans la rue dans l’espoir de les voir renverser leur gouvernement, conformément à la stratégie de la maison blanche.
En fait, il y a deux problèmes inextricables qui se posent pour Trump. Le premier, engendré par l’affaire Kashoggi, concerne les pressions de plus en plus dures exercées par le Congrès en vue de geler les ventes d’armes à l’Arabie saoudite et de soumettre ce pays à des sanctions. Là, en homme d’affaires, Trump est en train de s’opposer à ces pressions en répondant clairement au Congrès : « Non, je ne peux pas annuler des contrats d’achat d’armements de 110 milliards de dollars, et mettre au chômage des milliers de travailleurs américains. »
Le second problème, compliqué par l’affaire Kashoggi, concerne la stratégie de la Maison blanche vis-à-vis de l’Iran à l’approche du 5 novembre, date à laquelle Trump souhaite voir le niveau des exportations de pétrole iranien proche de zéro. Cette stratégie est basée sur deux éléments clés : dissuader par la menace les entreprises et les pays partout dans le monde d’avoir des liens pétroliers et commerciaux avec l’Iran ; coordonner avec l’Arabie saoudite pour augmenter substantiellement sa production afin que l’arrêt des ventes iraniennes n’entraine pas de hausse du prix du baril.
La quadrature du cercle
Or voilà que l’affaire Khashoggi vient dérailler cette stratégie en faisant oublier l’Iran et en concentrant l’attention mondiale sur l’Arabie saoudite. Pour Trump et tous les partisans de la guerre contre l’Iran, c’est l’impasse. Comment continuer à lancer des accusations de soutien au terrorisme par l’Iran auxquelles peu de monde y croit, et innocenter l’Arabie saoudite des graves accusations qui lui sont adressées et auxquelles pratiquement tout le monde y croit ? Comment continuer à appeler à des sanctions contre l’Iran que pratiquement tout le monde estime injustes, et ignorer les appels aux sanctions contre l’Arabie saoudite pour sa responsabilité dans l’affaire Kashoggi et dans la guerre contre le Yémen ?
Richard Haas, président du ‘’Council on Foreign Relations’’ à Washington résume le problème en ces termes : « Il n’est pas facile de maintenir l’attention concentrée sur le comportement de l’Iran lorsque les Saoudiens font des choses terribles aux journalistes et aux dissidents et bombardent des enfants au Yémen. »
L’urgence pour la Maison blanche est donc de faire en sorte que le rôle de l’Arabie saoudite dans la disparition de Khashoggi ne fasse plus les grands titres de l’actualité mondiale et d’y replacer au plus vite les « méfaits » de l’Iran. Une mission d’autant plus difficile que des personnalités influentes à Washington et au Congrès sont déjà convaincues de la responsabilité de l’Arabie saoudite dans cette affaire. La plus influente de ces personnalités, le sénateur républicain Lindsay Graham, va plus loin encore en accusant carrément le prince héritier Mohammed Ben Salman du meurtre de Khashoggi : « Il (Mohammed Ben Salman) a assassiné le journaliste dans le consulat saoudien en Turquie. Je ne mettrai pas les pieds en Arabie saoudite tant qu’il est au pouvoir. Ce type est un destructeur ».
Boucs émissaires ?
Des craintes sont exprimées un peu partout dans le monde que l’agenda iranien de Trump va pousser l’administration américaine à coordonner avec l’Arabie saoudite et la Turquie afin de trouver une issue à cette crise et de classer une fois pour toutes l’affaire Khashoggi. L’un des scénarios consisterait à pousser l’Arabie saoudite à reconnaitre le crime, mais à en faire assumer la responsabilité à des « éléments incontrôlés » que la justice (turque ou saoudienne) se chargerait de juger.
Trump a déjà commencé à agir dans ce sens. Parlant à la presse après avoir été au téléphone avec Mohammed Ben Salman, Trump a dit : « Je viens de parler avec le prince héritier et il m’a dit qu’il n’était au courant de rien. Je n’ai aucune raison de ne pas le croire. Le journaliste aurait pu être tué par des tueurs incontrôlés »…
La disparition de Khashoggi et son très probable assassinat sont loin d’empêcher Trump de dormir et le possible enterrement de la vérité ne lui posera sûrement aucun problème de conscience. Il pourrait même être soulagé de cette disparition quand on sait les articles très critiques qu’écrivait Khashoggi contre « le pillage » par Trump des richesses saoudiennes et le chantage financier auquel il soumet sans arrêt l’Arabie saoudite.
Reste à savoir si le peu d’instances et de gens honnêtes que compte encore notre monde avaleront la grosse couleuvre qu’est le scénario en préparation, un scénario qui consisterait à innocenter les vrais coupables et à faire assumer toute la responsabilité à quelques boucs émissaires ?