La pénurie de lait prend à la gorge l’économie du pays. Il s’agit d’une filière qui fait vivre 112000 éleveurs. Et parmi eux, plus de quatre éleveurs sur cinq ne possèdent qu’entre une à cinq vaches.
Aujourd’hui, le secteur laitier connaît une crise sans précédent. Elle est la résultante d’un cumul d’une crise de production et de productivité. De même qu’il s’agit d’une crise de gouvernance et une absence d’une vision à long terme.
De ce fait, la crise de 2018 a engendré l’importation de trois fois plus de lait qu’en 2017. Ce qui a entraîné entre autres des pertes considérables au niveau de la collecte et de la production de lait. Selon les experts, la dévaluation du dinar face aux devises étrangères a fait augmenter le prix des produits importés. C’est le cas des intrants nécessaires à l’alimentation, des médicaments vétérinaires et des emballages. L’augmentation est arrivée à atteindre 31% pour les matières d’emballage, 30% pour le prix du mazout et 30% pour les soins vétérinaires.
Ce sont autant de questions soulevées lors de la conférence de presse organisée aujourd’hui par la Chambre syndicale nationale des industriels du lait, au siège de l’UTICA.
Enjeux et solutions
Il est clair que la crise laitière est surmontable si les mesures sont prises en urgence et immédiatement. C’est ce qu’a déclaré Boubaker Mehri, président de la Chambre syndicale nationale des industriels du lait. Il a précisé que l’éleveur subit une grosse perte, car « au lieu de donner à l’éleveur 224 millimes, le gouvernement lui a donné 124 millimes. » Idem pour l’industriel qui lui aussi a reçu 36 millimes au lieu de 90 millimes. Il en est de même pour les centres de collecte où ont été distribués 20 millimes à la place de 50.
Ce constat atteste de la mauvaise gouvernance et il estime que les augmentations « sont trop peu et tardives ». D’ailleurs, le gouvernement avait pris conscience de cette défaillance et a préféré à une industrie qui importe du lait une industrie qui en exporte.
Pour M. Mehri : « Cette décision a été un coup dur non seulement pour l’industriel, mais également pour l’éleveur. Une chose que nous ne comprenons pas. Pourquoi l’Etat veut compenser le lait importé à 780 millimes, alors que l’éleveur reçoit 335 millimes de subvention. » Il aurait fallu augmenter de 110 millimes le lait tunisien », conclut-il.
Quel est le but de la manœuvre
Il reste à savoir s’il y a une envie de détruire cette filière? Il n’y a pas trente-six façons de réagir. Les membres de la chambre syndicale demandent des mesures urgentes auprès des décideurs politiques. Aller vers la vérité des prix est dans l’intérêt du pays. Selon eux, si on ne fait rien, on risque en 2019, nous continuerons à importer du lait de 50 millions puis 100 millions et cela conduira à la destruction du secteur laitier et à la perte d’emplois.
« La situation est très grave à cause d’une mauvaise gouvernance. Et nous sommes voués à l’échec. Tout comme je n’arrive pas à comprendre pourquoi ils veulent détruire cette filière et quel est l’intérêt« , a-t-il poursuivi.
Prix public du litre de lait stérilisé : le plus bas de l’ensemble de la région
La crise de 2018 a entraîné trois fois plus de lait importé qu’en 2007, avec l’importation de 10 millions de litres de lait en 2018, contre trois millions de litres en 2007; et des pertes conséquentes au niveau de la collecte et de la production de lait. Par ailleurs, par rapport à d’autres pays, le prix public du litre de lait stérilisé en Tunisie est de 1 120 millimes. C’est le plus bas de l’ensemble de la région. A titre de comparaison, il atteint 1 500 millimes en Libye, 1 900 millimes au Maroc et 1 800 millimes en Egypte.
Désormais, la différence entre le coût de production et le prix de vente est telle que les éleveurs produisent du lait à perte. L’ensemble des frais de production, de collecte et de transformation du lait a atteint des prix démesurés entre 2017 et 2018. Que ce soient les frais concernant le prix des vaches laitières, de l’alimentation du bétail, des soins vétérinaires ou des carburants, ils ont atteint des sommets.
Surmonter la crise
Ali Klebi, membre de la Chambre syndicale nationale des industriels du lait (CSNIL) relevant de l’UTICA est parti du même constat. La filière laitière connaît pour la première fois depuis des années une régression au niveau de la production de la collecte estimée à 7% sur l’année.
C’est ce qui explique aujourd’hui le manque de lait, soit 200 à 300 litres /jour. Il précise, en effet : « Ce facteur, combiné au prix du lait relativement élevé (1,d120), incite à la spéculation et à créer une situation de malaise. Le syndicat des producteurs de lait propose d’augmenter le prix du lait à la production – actuellement à 890 millimes – de 110 millimes. Cela va inciter l’éleveur à garder son cheptel ».
Surmonter la crise
Autrement dit, il faut une mesure urgente, il déclare: « Si on n’augmente pas le prix de la production, on risque d’avoir une production en baisse et l’année prochaine nous risquons de connaitre une crise plus aiguë. Ce qui nous amènera à une importation du lait ».
L’UTAP et l’UTICA appellent les pouvoirs publics à intervenir d’urgence. Ils revendiquent de mettre en place immédiatement les mesures nécessaires pour sauver le secteur laitier. Et cela, en subventionnant la production plutôt que le prix de vente au consommateur. Cela permettrait de maintenir les mêmes prix tout en finançant la production à la source.
La subvention serait affectée en faveur de plusieurs niveaux :
- Programme national de fourrage
- Caisse de santé vétérinaire
- Subvention directe de l’élevage local de velles
- Froid à la ferme
- Amélioration de la qualité du produit fini
Après la subvention à la source, il s’avère nécessaire d’instaurer une gouvernance du secteur. De faire davantage intervenir les producteurs, collecteurs et transformateurs du lait. L’accord entre les différents intervenants permettra de définir précisément les coûts réels. La révision immédiate des prix du lait au niveau de l’ensemble des maillons de la chaîne s’impose comme étant l’action prioritaire à entreprendre dans les plus brefs délais.