Les autorités du Royaume saoudien ont finalement admis ce que semblait aussi évident que dramatique. Le journaliste Jamal Khashoggi, critique du prince héritier Mohammed Ben Salmane et exilé aux Etats-Unis, est bien décédé au consulat de Riyad à Istanbul (Turquie). Les circonstances exactes demeurent cependant floues.
Au-delà du limogeage de deux hauts responsables saoudiens et l’arrestation de 18 suspects, la version officielle donnée par Riyad ne convainc personne, pas même ses alliés occidentaux et arabes.
Le jeune prince héritier Mohamed Ben Salman est au cœur du cyclone diplomatico-médiatique. Il est en effet considéré comme le principal responsable de cette opération d’assassinat politique. Une responsabilité qui pourrait causer la chute du nouvel homme fort du régime. Sa montée en puissance dans les secteurs de la sécurité et de l’économie s’appuie aussi sur une réelle popularité dans une large partie de la population, notamment chez les jeunes et les femmes. Un leadership qui se traduit par une multiplication de signes d’ouverture, en particulier avec une série d’assouplissement des restrictions iniques imposées aux femmes.
La monarchie absolue ne tolère pas la liberté de la presse
Il n’empêche, l’assassinat du journaliste Jamal Khashoggi rappelle la nature profonde du régime qui repose sur une monarchie islamique absolue, qui n’admet ni pluralisme politique, ni liberté de la presse. Comme l’indique le site de Reporters sans frontières, il n’existe pas de médias libres en Arabie saoudite. Dans ce pays où l’autocensure est très forte, Internet est le seul espace où l’information indépendante peut éventuellement circuler. Aux risques et périls des journalistes-citoyens. Comme les professionnels, ces derniers demeurent étroitement surveillés et risquent la condamnation et/ou la prison pour des propos critiques…
Malgré le discours d’ouverture du prince héritier, Mohamed Ben Salman, la situation de la liberté de la presse s’est dégradée dans le royaume. Des dizaines d’activistes (dont le bloggeur Raïf Badawi) et de journalistes ont effectivement été interpellés. Pour mémoire, le royaume wahhabite est classé 169e au Classement mondial de la liberté de la presse 2018.
La dernière tribune de Khashoggi sur la liberté de la presse
Le journal américain le Washington Post a publié, mercredi 17 octobre, l’ultime tribune du journaliste saoudien. Il y traite des restrictions sévères à la liberté de la presse dans le monde arabe… Jamal Khashoggi, qui résidait aux États-Unis, évoque la lueur d’espoir apparue en 2011 avec les soulèvements populaires : « Journalistes, universitaires, et la population en général, rêvaient de voir une société arabe brillante et libre dans leur pays […] ces espoirs ont rapidement été brisés : ces pays ont retrouvé leur bon vieux statut quo, ou ont connu des restrictions encore plus sévères », a-t-il estimé, évoquant l’exemple de son confrère, l’éditorialiste saoudien Saleh al-Shehi, condamné à cinq ans de prison pour avoir insulté la cour royale dans un texte. Selon Jamal Khashoggi, « Les gouvernements arabes ont ainsi pu continuer à réduire les médias au silence, à un rythme encore plus rapide ». Hier comme aujourd’hui, l’impératif de la lutte antiterroriste est instrumentalisée pour justifier l’emprise sur la presse et la neutralisation de la liberté d’expression.
Protéger le quatrième pouvoir
Le drame rappelle combien la presse et ses organes vivants (les journalistes) jouent un rôle fondamental dans la politique moderne et les sociétés démocratiques ou non. Ils représenteraient même un « quatrième pouvoir ». Issue de la culture américaine, cette idée revêt un enjeu particulier pour les sociétés traversant une phase de transition démocratique. La fonction de la presse correspond mieux à l’idée de contre-pouvoir. Dans les sociétés démocratiques, la presse a vocation à jouer un rôle de vigie (surveiller l’action du pouvoir politique). Mais aussi de relais d’opinions (développement d’arguments et de contre-arguments).
Le contre-pouvoir inhérent à la liberté d’expression
En ce sens, la fonction ontologique de la presse consiste à pouvoir faire obstacle aux pouvoirs institutionnels. Ainsi qu’au système représentatif. C’est pourquoi le pouvoir politique- même élu- s’en méfie traditionnellement. En témoignent les critiques récurrentes dont elle fait l’objet en Tunisie. Au moment même où elle a recouvré sa pleine liberté. Des critiques qui justifient d’autant plus une protection de la presse.
La liberté d’expression constitue le fondement juridique nécessaire à la fonction de contre-pouvoir de la presse. Le principe d’une presse libre et indépendante du pouvoir porte en lui l’idée de contre-pouvoir. La philosophie politique et libérale permet de définir précisément le caractère de contre-pouvoir inhérent à la liberté d’expression.