Le remaniement ministériel annoncé par le chef du gouvernement ravive le conflit entre la Kasbah et Carthage. On est passé, dit un observateur d’un « affrontement silencieux à une guerre déclarée ». La surenchère de certains médias évoquerait « une grande discorde ». Ramenons les événements à leurs justes proportions.
Prenant ses distances par rapport au Président de la République, qui l’a proposé à cette charge ministérielle, Youssef Chahed, a effectué un rapprochement évident, avec le parti Ennahdha. En effet, ce parti a contrarié les velléités de changement de gouvernement (point 64 du dialogue de Carthage 2), pour « défendre la stabilité », dit-il. Les ennemis du chef de gouvernement évoquent volontiers, au-delà d’une alliance tactique, une connivence, sinon une complicité.
Prenons la juste mesure du repositionnement du chef du gouvernement, issu de Nidaa Tounes et en conflit avec sa direction.
La politique du fait accompli
L’initiative du remaniement et la procédure adoptée consacre ce conflit. Le chef du gouvernement a précipité l’annonce du remaniement. Il aurait mis le Président « devant le fait accompli ». « Il l’a juste informé à une heure tardive l’après-midi, d’autant plus que la liste qu’il lui a présentée aurait été changée« , avait indiqué Saïda Garrache, porte-parole de la présidence de la République.
Fait inhabituel, Youssef Chahed, a transgressé la transmission présidentielle du projet de remaniement, au parlement, explicitant ainsi sa rupture avec le Président, par ce non-respect des normes et des procédures.
Fait significatif, le chef du gouvernement a précipité le remaniement, reportant ainsi la réunion du Conseil des ministres qui devait avoir lieu jeudi 8 novembre, pour traiter la question de l’égalité de l’héritage, sous la présidence du chef d’Etat. A-t-il répondu ainsi à ces nouveaux alliés idéologiques, comme l’affirment certains. Surprise et inquiète, la classe politique attendait la réponse du chef de l’État.
Au cours de sa conférence de presse (palais de Carthage, 8 novembre), le Président a critiqué la politique du fait accompli et cette transgression de la morale politique, rappelant son autorité de chef de l’État et sa fonction principale de garantir le respect de la Constitution, confortée, dans son cas, par sa légitimité historique. Peut-on réduire ainsi son rôle à « un facteur entre le gouvernement et le Parlement », affirmation maladroite et irrespectueuse de certains ? Dans ses reproches à Youssef Chahed, le Président a affirmé qu’il n’a pas eu le temps d’examiner les noms proposés par le chef du gouvernement pour le remaniement ministériel, d’autant plus qu’il ne connait même pas un certain nombre d’entre eux.
Un remaniement ministériel pour quoi faire ?
Dans son analyse pertinente, le Président de la République affirme qu’on « ne marche pas dans la bonne voie » et que les querelles politiques occultent les attentes sociales et ne traitent pas les questions économiques. Il relève que le parti Ennahdha « domine le gouvernement » et il évoque même l’existence d’un « gouvernement de l’ombre ». Défendant la légalité, respectueux de la Constitution, il annonce qu’il respecterait, en ce qui concerne le remaniement, la décision du parlement et organiserait évidement la cérémonie du serment.
Se plaçant au-dessus des partis, Béji Caïd Essebsi ferme la parenthèse de ses reproches. Refusant les marchandages, il se comporte ainsi en véritable homme d’État.
En conclusion de la conférence de presse, et répondant à d’éventuels détracteurs, le Président Caïd Essebsi affirme : « Je ne m’attache pas aux postes. Si nécessaire, je quitterai malgré ma légitimité électorale. »
La conférence de presse sera-t-elle en mesure de mettre fin à ce jeu politique, et à rappeler la nécessité gouvernementale de traiter, en priorité les urgences socio-économiques et la chute du dinar ? Pourra-t-elle susciter un retour de la conscience, pour mettre à l’ordre du jour un rééquilibrage politique, au profit des forces de progrès ?