Perdre sa fortune, sa position, n’est rien tant que l’on conserve son honneur… A quoi joue-t-on, en ce moment, en Tunisie ?
« L’espion qui m’aimait« , « L’espion qui venait du froid », « Nid d’espions« , « L’Etau« , je ne compte plus les films d’espionnage que j’ai pu voir et qui ont fait date, comme on ne compte plus tous ces nouveaux espions que la révolution a apportés dans ses bagages.
Résultat, tout le monde espionne tout le monde sous l’oeil inquisiteur d’une religion mélangée à toutes les sauces…A quoi rêvent les loups quand ils ne dansent pas ? A la bergerie et au poulailler bien évidemment !
Depuis la révolution, on n’a jamais vu autant d’agneaux aussi jeunes et aussi vulnérables qui rêvaient d’un monde meilleur et qui se sont retrouvés pris dans la nasse islamiste. Je vous conseille d’ailleurs vivement, amis lecteurs, de lire « A quoi rêvent les loups » de Yasmina Khadra, il est édifiant… Les Arabes, la flagornerie et ce futur qui se conjugue au passé…
Quel que soit le jeu des uns et des autres, l’affaire Khashoggi aura eu au moins le mérite de montrer, encore une fois, le poids du passé chez les peuples arabes.
Aujourd’hui Kashooggi, hier Samir Kassir, Ghassan Tuéni pour ne citer que les plus connus. Comme si confisquer la parole était une calamité arabe. Comme si la tentation totalitaire, qu’elle soit d’essence civile ou religieuse, était une fatalité.
Même la Tunisie n’y échappe pas, révolution ou pas. Les Arabes seraient-ils condamnés pour l’éternité à écrire leur futur à travers le prisme déformant d’un passé lourd en contentieux et en frustrations ?
Que l’on confisque la parole, qu’on la bâillonne ou qu’on la fasse taire à jamais, comme cela vient d’être le cas à Istanbul, cela participe d’une mentalité, d’une certaine culture que l’on retrouve presque exclusivement dans le monde arabe…
Vous êtes formidables, vous êtes ceci, vous êtes cela, les hommages appuyés, les Arabes adorent ; et les Tunisiens ne dérogent pas à la règle.
Alors, quand à travers le président Essebsi, un Emmanuel Macron monte au créneau pour flatter notre ego en panne de louanges, on applaudit, même si c’est avec une certaine réserve. Qu’il cite le leader Bourguiba avec une admiration où l’on sent l’émotion, on est bien sûr fiers. Mais que valent les mots s’ils n’ont pas un pouvoir d’action ?
Huit ans après la chute de l’ancien régime, les Tunisiens ne peuvent plus se suffire de bons points… Ne demandez surtout pas à M. Youssef Chahed pourquoi son gouvernement n’arrête pas de caler. Demandez-lui plutôt ce que coûtent ses ambitions présidentielles au pays… Et on se demande pourquoi plus qu’ailleurs, nos hommes politiques sont autant détestés…
N’avez-vous pas remarqué que plus personne ne parle aujourd’hui des suites des révélations fracassantes faites sur le double assassinat de Chokri Belaïd et de Mohamed Brahmi ?
Si la pression des eaux est toujours là, la pression sur ceux qui ont tout manigancé est subitement retombée… Mieux, la justice se précipite pour émettre un mandat d’amener à l’encontre de la ministre de la Jeunesse et des Sports Majdouline Charni pour faits de corruption, et semble ignorer le séisme politique qui vient de se produire.
N’avez-vous pas relevé l’arrogance des gens d’Ennahdha qui affûtent déjà leurs armes pour parfaire en 2019 leur mainmise sur le pays, là aussi, comme si de rien n’était ? On a vu les Harouni, Dilou, Mekki, entres autres, écumer les plateaux TV et les stations radio, comme pour mieux nous avertir que le califat à venir n’était pas une rigolade. Qui accabler, les politiciens qui magouillent pour des arrangements criminels, l’opinion ou les médias ?
On reproche à nos politiciens d’être très peu regardants quand il s’agit d’éthique, de mentir à tout bout de champ et d’être tous pourris. On oublie que c’est tout le corps social qui est rongé par toutes les maladies possibles et imaginables. Ce n’est pas le pays qui est à blâmer, mais bel et bien ses habitants. Ce sont les Tunisiens qui dans leur majorité sont devenus immoraux, comme si la vertu avait déserté les lieux.
A l’instar de leurs hommes politiques, ils n’ont plus honte de rien et ne se gênent plus pour vivre dans la transgression permanente, en tordant le cou à tous les principes qui font le vivre-ensemble.
En l’absence d’un Etat qui n’est plus que l’ombre de lui-même, pourquoi se gêneraient-ils ? On comprend mieux la percée électorale des indépendants, comme on saisit mieux cette montée de l’abstentionnisme. Serait-il trop tard pour que la morale retrouve ses droits ? Ennahdha a commis le hold-up parfait, en attendant l’accomplissement total et absolu.
Pourquoi voulez-vous après cela, qu’après son entrevue avec Rached Ghannouchi, l’ambassadeur de France à Tunis Olivier Poivre d’Arvor ne se félicite pas du rôle positif joué par Montplasir dans la réalisation de la stabilité politique et la promotion de la démocratie en Tunisie ?
La semaine dernière, le chef de la diplomatie française, Jean-Yves le Driand, était dans nos murs, et actualité Aleca oblige, on a sans doute parlé encore une fois d’arrimage.
A l’heure où les tiraillements en tout genre risquent de faire imploser le pays, on peut se poser la question : à quel attelage voulons-nous être arrimés ? … Quand la justice se réveillera, la République sera sauvée, vous pouvez me croire.