Le remaniement ministériel est passé tard dans la soirée du lundi 12 novembre et sous haute tension. Voilà que le parti vainqueur des législatives de 2014 avec 86 sièges se retrouve dans le camp de l’opposition. Il a 51 sièges, quatre ans plus tard. Elyès Ghanmi, Directeur de l’Institut tunisien des élus, livre une analyse sur l’événement d’hier.
Il souligne que le vote de confiance au Parlement, pour entériner le remaniement ministériel proposé par Youssef Chahed, sera entaché d’un triple déficit démocratique. Selon lui, il s’agit :
- D’un premier problème qui se pose au regard du respect de la Constitution.
- Un deuxième est lié au déficit de la légitimité électorale du chef du gouvernement.
- Et enfin, un troisième problème relatif à la déontologie. Cette déontologie, rappelle-t-il, doit régir les rapports entre élus et électeurs. Par exemple, l’ampleur du « nomadisme politique », et notamment au sein des groupes parlementaires. Certains de ces groupes s’étant récemment constitués et ayant accordé leur confiance au chef du gouvernement.
Sur le volet de la question constitutionnelle, M. Ghanmi indique qu’à l’évidence, le chef du gouvernement ne peut plus se prévaloir de son ancien statut de candidat (au poste de chef de gouvernement) du parti majoritaire. Comme ce fut le cas lors des élections législatives de 2014. Il précise dans ce contexte : « La Constitution exige que le chef du gouvernement soit issu du premier parti ou de la coalition gagnante à l’issue des élections législatives. Sur le plan politique, le contrat de confiance entre Youssef Chahed et son ancien parti est définitivement rompu. L’ actuel chef du gouvernement n’a plus non plus les faveurs du président de la République qui l’a proposé en 2016. »
D’où Youssef Chahed tient-il sa légitimité ?
Alors se pose une question : d’où Youssef Chahed tient-il sa légitimité constitutionnelle aujourd’hui ? Il ajoute en ce sens que le chef du gouvernement ne dispose d’aucune légitimité électorale, n’étant pas lui-même député. Il souligne en effet : « Une situation en contraste total avec l’esprit et les pratiques des régimes parlementaires. »
Selon M. Ghanmi, le bilan de son action est fortement contesté. « Si tant est que celui-ci puisse lui fournir une légitimité extra-électorale qui serait justifiée par des politiques publiques reconnues comme efficaces ou par une amélioration tangible des conditions de vie des citoyens », a-t-il poursuivi.
Et en dernier lieu, M. Ghanmi a rappelé que la majorité (courte) qui a voté hier la confiance à ce nouveau gouvernement est composée d’un nombre considérable de députés qui ont changé d’affiliation politique au cours de ce mandat législatif. Ils seraient 40 selon certaines estimations. Il indique : « Cela pose sérieusement un problème éthique au regard des principes, des valeurs et des stratégies défendus dans les programmes électoraux par ceux qui n’étaient alors que les candidats de leur parti d’origine. Des choix sur la base desquels les électeurs se sont prononcés dans les urnes. »
Et d’ajouter : « En résumé, une situation abracadabrantesque qui ne cesse d’affaiblir les fondements d’une démocratie parlementaire saine. »
Remaniement ministériel et tourisme politique
« Le chef du gouvernement doit être issu du parti ou de la coalition ayant eu le plus grand nombre de sièges à l’assemblée ». Alors que la coalition qui vient de voter la confiance n’est pas celle qui est issue des élections législatives de 2014. Que disent les experts sérieux dans ce cas-là ?
Pour eux, l’esprit de la Constitution n’est pas respecté. En clair, en matière de nomadisme politique, ou encore de « tourisme politique », que certains qualifient de transhumance, il y a deux positions.
La première consiste à considérer que le député ou la députée est le représentant de la Nation. Par conséquent, l’élu(e) ne doit pas être sanctionné(e) en cas de changement partisan.
« Quid de la question morale alors ? Puisque les électeurs peuvent se sentir trahis, ayant voté pour un(e) élu(e) sur la base de son étiquette politique.
D’où la seconde option qui sanctionne l’élu(e) nomade. Et soit par déchéance, il perd son siège – et donc une élection partielle est convoquée (exemple : le Gabon)- soit son suppléant le remplace (exemple : Burkina Faso).
En ces temps d’instabilité politique chronique et d’opportunisme, « je plaide pour des solutions radicales », conclut-il.