Marouane El Abbassi, Gouverneur de la Banque Centrale de Tunisie, a participé aujourd’hui à une initiative conjointe entre la Banque d’Espagne et la BCT, qui fête cette année son 60ème anniversaire, le tout facilité par l’IEMed (l’Institut européen de la Méditerranée).
« C’est un signe ! C’est pour dire que nos deux rives demeureront partenaires et complices autour de cette Mare Nostrum qui hier, aujourd’hui et nous l’espérons demain, demeurera un trait d’union de deux rives qui ne peuvent être que complémentaires !« , a déclaré le gouverneur de la BCT. Et d’ajouter : « La situation actuelle requiert des actions concrètes, rapides et efficaces ».
Se basant sur une étude récente de la Coface (avril 2018), malgré un volume des exportations au sein de la région qui a doublé entre 2001 et 2016, le gouverneur de la BCT a souligné que leur poids relatif dans le total des exportations n’a pas progressé mais il a reculé.
« Les économies méditerranéennes sont donc moins bien intégrées entre elles qu’il y a 15 ans », a-t-il conclu. Aussi, doit-on relever les effets négatifs liés à la multiplication des accords commerciaux préférentiels.
Faire face aux mesures protectionnistes
Les différents textes liés à la multiplication des accords commerciaux préférentiels compliquent les démarches pour les exportateurs, qui sont soumis à des conditions différentes d’un texte à l’autre.
Parallèlement, le volume de mesures protectionnistes – qu’il s’agisse de barrières tarifaires ou de mesures non-tarifaires (réglementations, normes) – a augmenté, au sud et surtout au nord de la Méditerranée, avec 190 nouvelles protections mises en place par l’UE entre 2012 et 2018 !
La même étude montre que de nouvelles spécialisations sectorielles sont apparues, permettant à certaines économies du Sud et de l’Est de la Méditerranée de monter en gamme, notamment grâce à « des politiques d’intégration dans les chaînes de valeur mondiales ».
Sur un autre plan, en 1995, la Conférence de Barcelone avait pour vocation de valoriser le bassin méditerranéen, et ce, en proposant l’édification d’une « zone euro-méditerranéenne de paix, de stabilité et de sécurité » fondée sur le partenariat.
En effet, les enjeux du processus de Barcelone étaient le développement et la croissance économique de part et d’autre de la Méditerranée et l’apaisement de cet espace partagé.
Toutefois, le processus de Barcelone a été confronté à différentes difficultés ayant gêné son cheminement, vu les incohérences persistantes à l’instar de la spécificité du libre-échange euro-méditerranéen, particulièrement industriel, et l’insuffisance d’échanges commerciaux entre les pays partenaires méditerranéens (PPM) eux-mêmes. En l’occurrence ceux de l’Afrique du Nord (Algérie, Égypte, Libye, Maroc, Tunisie) dont les échanges n’ont pas dépassé les 4 % entre 1995 et 2017 avec une moyenne annuelle de 3,5%.
Pour ce qui est de la Tunisie, Marouane El Abbassi a rappelé que ses échanges commerciaux avec les pays de l’UMA n’ont pas dépassé 6,5 % en 2016. Ce résultat en demi-teinte peut être expliqué, entre autres, par les effets négatifs liés à la multiplication des accords commerciaux préférentiels.
Tous ces défis ne peuvent être qu’un moteur pour concevoir une nouvelle approche de coopération et de « solidarité méditerranéenne ».
Pour une collaboration financière et technique entre les pays des deux rives
Au niveau de la coopération financière, le gouverneur de la BCT a cité l’ALECA, un sujet qui certes engendre des polémiques dans notre pays. Cependant, l’UE et le Maghreb pourraient concevoir un modèle mixte où cohabitent l’approche institutionnelle et les stratégies d’investissements privés des multinationales mais aussi des PME européennes.
Sommes-nous en train de bien coopérer et d’échanger notre expertise technique ?
« A la BCT nous avons voulu être constructifs et actuellement on est en train de coopérer étroitement avec la BAM (Maroc), la CBRT (Turquie) … Parallèlement, nous sommes en train de mettre en place un cadre de coopération avec la Banque de France et la Banque d’Espagne. Mais quid des autres Banques centrales de la région ? », s’est interrogé Marouane El Abbassi.
Il a exprimé le vœu d’entamer une phase de réactivité sans attendre que des situations problématiques nous poussent à coopérer, momentanément ! A ce titre, il a évoqué les relations bancaires en général et spécifiquement le phénomène de derisking qu’on est en train de subir surtout côté rive sud de la Méditerranée. Il s’agit bien là d’un domaine sur lequel une meilleure coopération entre banques centrales pourrait être utile et bénéfique. Idem pour ce qui est de la technologie où d’autres défis attendent et des dangers guettent la région.
Rôle des régulateurs avec l’émergence spectaculaire des Fintechs
L’arrivée sur le marché des Fintechs et leur vitesse de propagation vont engendrer de profonds changements du paysage financier.
Pour Marouane El Abbassi, ce progrès technologique a un impact positif sur la qualité et l’accessibilité au service financier. La digitalisation de la finance constitue un vecteur précieux d’inclusion financière. La corrélation entre inclusion financière et création d’emplois, défis partagés entre nos pays, n’est plus à faire !
Néanmoins, les régulateurs doivent mettre en place les garde-fous nécessaires pour que cette transition technologique puisse se faire sans préjudices pour la stabilité financière. Il faut donc une meilleure coopération entre régulateurs et un meilleur partage d’expertises.
« Entre pays maghrébins, et je me permets de parler au nom de mes collègues maghrébins ici présents, nous comptons le faire dans le cadre du Conseil des Gouverneurs des Banques Centrales des pays de l’Union du Maghreb Arabe. Et ce, plus rapidement que prévu », a assuré le gouverneur de la BCT.
Pour ce qui est de la Tunisie, Marouane El Abbassi a rappelé que la promulgation de la loi 2018-20 sur les startup et l’adoption récente de son décret d’application constituent une véritable opportunité en matière d’innovation technologique à haute valeur ajoutée et de promotion du développement durable, et ce, outre la valorisation du facteur humain et la création d’emplois.
Le gouverneur de la BCT a exprimé le vœu de voir, un jour, le lancement d’un Start-up Act maghrébin ou même méditerranéen qui représente un vrai cadre pour l’épanouissement d’une jeunesse mondialisée, ambitieuse et créative.
« Sur le plan régional, tant au sein de la même rive qu’entre les deux rives, ce serait une véritable opportunité en matière d’innovation technologique à haute valeur ajoutée et de promotion du développement durable, et ce, outre la valorisation du facteur humain et la création d’emplois. Je reste profondément convaincu que les besoins sont réels ! Et que les opportunités existent ! Un partenariat win-win est possible ! », a conclu le gouverneur de la BCT.
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